Jours décisifs en Tunisie. Elyes Fakhfakh, le premier ministre désigné le 20 janvier dernier, après l’échec de son prédécesseur Habib Jemli, pour former un gouvernement, n’a plus qu’une dizaine de jours pour modifier le gouvernement proposé. Ce dernier a déjà annoncé la liste du cabinet samedi 15 février, mais le parti islamiste Ennahda, première force politique au parlement (54 députés), l’a rejeté, tout comme Qalb Tounès (au coeur de la Tunisie), parti de Nabil Qaroui (candidat à la dernière présidentielle) et deuxième force à l’assemblée (38 députés) et la coalition Karama (19 élus d’obédiences islamistes et révolutionnaires). A eux trois, ils forment de facto une majorité. Ce qui a obligé le premier ministre désigné à déclarer que les négociations se poursuivront. Car en l’état actuel des lieux, il est impossible que ce gouvernement soit approuvé par le parlement. « La décision d’Ennahda met le pays dans une situation difficile qui nous oblige à étudier les possibilités juridiques et constitutionnelles », a déclaré le premier ministre désigné. « Nous avons décidé avec le président de la République de profiter de ce qui reste de durée constitutionnelle » pour chercher une issue, a-t-il ajouté, laissant entendre que la liste pourrait notamment être modifiée.
La liste, présentée samedi 15 février, compte pour moitié des personnalités présentées comme indépendantes, notamment chargée des ministères régaliens. Or, parmi les portefeuilles qui devaient revenir à des membres d’Ennahda figurent la Santé, le Transport ou encore l’Enseignement supérieur. Le parti islamiste réclame en outre la formation d’un gouvernement d’unité nationale incluant Qalb Tounès, mais son chef, Nabil Karoui, poursuivi pour fraude fiscale, avait été écarté des négociations. « Ennahda n'a décidé ni de participer ni de voter la confiance à un gouvernement qui aurait été trop faible » (sans la participation de Qalb Tounès), a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) Abdelkarim Harouni, président du conseil de la choura d’Ennahda, l’organe consultatif du parti. Or, Fakhfakh continue de refuser d’associer des personnalités proposées par Nabil Karoui à son gouvernement, alors qu’Ennahda entendait rééditer la grande alliance islamiste-moderniste, constituée en 2014 avec le parti du président décédé Beji Caïd Essebsi.
Aussi, le litige entre Ennahda et Fakhfakh portait sur un autre point : le ministère des Technologies de la communication et de l’Economie numérique, tenu par l’islamiste Anouar Maaref, que le chef du gouvernement veut attribuer à un indépendant. Fakhfakh considère que ce département doit sortir des mains des partis.
Imbroglio politique
Selon les analystes, derrière le bras de fer entre le premier ministre désigné et le parti islamiste se cache une tension plus profonde : si la Constitution accorde au président le droit de nommer le chef du gouvernement, en 2e chance, suite à l’échec du premier nominé à obtenir la confiance du parlement (Habib Jemli avait été choisi par Ennahda à la suite des législatives d’octobre dernier), cela ne veut nullement dire, selon les islamistes, que le président dicte ses choix à la personnalité nominée. Pour Ennahda, le rôle du président doit se limiter au choix de la personnalité à même de former un gouvernement. D’où les déclarations d’Abdelkarim Harouni : « Kaïs Saïed a choisi Monsieur Fakhfakh, il considérait que c’était l’homme de la situation, manifestement, ça n’a pas été le cas ». Et d’ajouter : « M. Fakhfakh doit rendre sa mission au président de la République et céder la place à quelqu’un d’autre ».
« M. Fakfakh peut encore négocier, mais il ne lui reste plus beaucoup de jours », a également souligné M. Harouni. En effet, la volte-face d’Ennahda met le premier ministre désigné, mais aussi le président tunisien, Kaïs Saïed, dans une position délicate. C’est à ce dernier de décider de la suite des événements. Si Elyes Fakhfakh renonce à présenter un cabinet, Kaïs Saïed peut encore choisir un nouveau chef de gouvernement. Mais à défaut de gouvernement d’ici au 15 mars, le président tunisien aura la possibilité de dissoudre le parlement et déclencher des élections anticipées.
A défaut d’une improbable alliance nouée dans les jours à venir, les scénarios qui restent sont tous épineux. Une situation critique face à l’urgence de remettre le pays sur des rails alors que l’administration et l’économie sont au ralenti, si ce n’est à l’arrêt.
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