Dans un climat très tendu, le nouveau gouvernement libanais a été dévoilé au Palais présidentiel de Baabda et a commencé ses travaux, vendredi 24 janvier. Une lourde responsabilité attend ce gouvernement, composé de 20 ministres, dont certains sont des universitaires et des professionnels. Celui-ci doit relancer une économie en chute libre et convaincre les manifestants hostiles à la classe politique qu’il faut donner à cette dernière l’opportunité de trouver des issues à la crise qui secoue le pays. Le nouveau premier ministre, Hassan Diab, soutenu par le mouvement chiite du Hezbollah, s’était engagé à nommer un gouvernement de technocrates indépendants répondant aux aspirations de la rue. Mais Diab était dans l’impasse en raison des divisions sur l’attribution des portefeuilles ministériels. Il a été obligé de former au plus vite son gouvernement après les tensions qui ont secoué le Liban ces derniers jours, avec des affrontements entre contestataires et forces de l’ordre, qui ont fait plus de 500 blessés et entraîné des dizaines d’arrestations. Plusieurs partis de premier plan ont refusé de prendre part au gouvernement, notamment le mouvement du Futur de Hariri, les Forces libanaises de Samir Geagea et la formation du chef druze Walid Jumblatt. Le gouvernement a donc été formé par un seul camp politique, celui du Hezbollah pro-iranien et ses alliés, majoritaires au parlement. Aux côtés du Hezbollah, on compte notamment la formation chiite Amal, ainsi que le Courant Patriotique Libre (CPL), fondé par le président Michel Aoun. Pourtant, même entre ces alliés, il aura fallu d’intenses tractations pour répartir les portefeuilles.
Les promesses de Diab
Essayant de calmer les manifestants, Hassan Diab a promis que son gouvernement ferait tout son possible pour répondre à leurs revendications et qu’il allait déployer tous les efforts possibles pour « éviter un effondrement ». La tâche qui attend le gouvernement durant cette période délicate consiste à trouver des solutions rapides aux problèmes financiers, économiques et sociaux du pays. Le mouvement de contestation, qui agite le pays depuis le 17 octobre, réclame une refonte du système politique et la démission d’une classe politique accusée d’incompétence et de corruption. Selon les manifestants, le point de départ de ce changement réside dans la formation d’un cabinet réduit et transitoire composé de figures indépendantes du sérail politique, au pouvoir depuis la fin de la guerre civile. Malgré les essais du premier ministre, son nouveau gouvernement demeure toujours insatisfaisant aux yeux des manifestants. Pour exprimer leur mécontentement, ces derniers ont incendié des pneus et coupé plusieurs routes à travers le pays, notamment dans les villes majoritairement sunnites de Tripoli (nord) et Saïda (sud), ou encore la petite ville côtière de Byblos, au nord de Beyrouth. « Ce gouvernement exprime les aspirations des manifestants dans tout le pays et il travaillera pour répondre à leurs revendications », a défendu Diab, ajoutant que « tous les ministres dans ce gouvernement sont des technocrates, et donc loin de la politique et des partis. Ils travailleront sur l’indépendance de la justice, la lutte contre l’enrichissement illégal et la lutte contre le chômage ». Parmi les ministres figurent des noms inconnus du grand public, notamment des académiciens. Le ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, honni des manifestants, a été remplacé. L’équipe comprend un nombre record de femmes, six, dont pour la première fois la ministre de la Défense.
Multiples défis
Hassan Diab a averti que le Liban faisait face à une catastrophe économique. « La crise qui plane sur le Liban a une dimension politique, économique, sociale et confessionnelle. Trouver des issues à ces questions est complexe et difficile, car chaque camp a ses intérêts et il essaie de garder les privilèges acquis par le passé. Faire des concessions sera une demande rejetée par tous les partis. Maintenant, les protestataires ne vont pas céder. La majorité des partis politiques ont refusé de participer à cette nouvelle équipe pour protester contre la domination du Hezbollah. Il faut savoir que les questions économiques et politiques sont souvent liées aux confessions et aux communautés », explique Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire.
Alors, pour la nouvelle équipe, les défis sont multiples, en particulier sur le plan économique, dans un pays qui croule sous une dette avoisinant les 90 milliards de dollars, soit plus de 150% de son Produit Intérieur Brut (PIB). Il faudra des réformes structurelles notamment pour débloquer les milliards de dollars d’aide promise par la communauté internationale. Les contestataires continuent à fustiger les autorités incapables de fournir les services de base, alors que, 30 ans après la fin de la guerre civile (1975-1990), les Libanais vivent au quotidien avec des coupures d’électricité, un réseau médiocre d’eau courante et une gestion calamiteuse des déchets. La Banque Mondiale (BM) a averti en novembre que la moitié de la population du Liban pourrait bientôt vivre en dessous du seuil de pauvreté, contre le tiers actuellement. Le gouvernement devra également se pencher sur la dépréciation de la livre libanaise, qui a perdu plus d’un tiers de sa valeur face au dollar dans les bureaux de change. Dans l’économie où le système bancaire occupe un rôle prépondérant, les autorités vont devoir gérer le manque de confiance criant de la population à l’égard des banques, qui ont adopté des restrictions draconiennes sur les retraits en dollars ou les transferts vers l’étranger.
Un plan de sauvetage économique
Après avoir pris ses fonctions, le nouveau ministre des Finances, Ghazi Waznia, s’est entretenu avec une délégation de la BM, mais aucun détail n'a été annoncé après cette rencontre. Le lendemain, Ghazi Waznia a eu d’autres entretiens avec le directeur exécutif suppléant du Fonds Monétaire International (FMI), Sami Geadah, dans un contexte de grave crise économique au Liban, la pire depuis la guerre civile (1975-1990). « C’est une visite de courtoisie qui a pour but de faire connaissance avec l’équipe du FMI. Les discussions n’ont abordé aucun plan de sauvetage économique », a déclaré à l’AFP Waznia, avant la rencontre. La détérioration de la situation économique a soulevé des questions sur la possibilité que le Liban en appelle au FMI pour un plan de sauvetage. En décembre, l’ex-premier ministre, Saad Hariri, avait appelé le FMI et la BM à soutenir un plan de sauvetage d’urgence pour le Liban. Selon des recommandations du FMI publiées en 2019, le pays doit relever sa Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), couper les subventions à la compagnie d’électricité nationale, prendre des mesures concrètes contre la corruption et mettre en place des réformes structurelles. « Ce gouvernement doit prendre des décisions dès cette semaine pour calmer la rue et la persuader qu’il faut le laisser travailler. On peut s’attendre à ce que les manifestants donnent au gouvernement un délai de 100 jours avant de juger sa performance. Le nouveau gouvernement doit présenter ses réformes dans tous les domaines pour satisfaire la rue », conclut Mona Soliman .
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