Al-Ahram Hebdo : Beaucoup de questions se posent après la présidentielle d’autant que les manifestations ont éclaté aussitôt après. Qu’en pensez-vous ?
Abdelkarim Taferguennit: Dix mois après le lancement du Hirak, des élections présidentielles ont été tenues dans des conditions exceptionnelles. La rue connaît des manifestations contre et d’autres pour. Et le débat entre les deux pôles se poursuit, notamment sur les réseaux sociaux. Ces élections sont différentes par rapport aux précédentes, jamais il n’y a eu un tel débat autour d’un scrutin. En même temps, il n’y a pas de contestations des résultats. Aucun recours n’a été fait auprès de la Commission électorale indépendante et les quatre autres candidats ont remercié la commission. Ces élections étaient transparentes et fiables et c’est un point positif dans le contexte d’un début de changement.
— Le Hirak va-t-il se poursuivre, et si oui, peut-il préserver sa nature pacifique ?
— Le président élu, Abdelmadjid Tebboune, a longuement répété, avant même son élection, l’expression « le Hirak béni », estimant que c’était une aubaine. Et dans sa première conférence de presse après l’annonce de sa victoire à la présidentielle, il a tendu la main au Hirak, proposant un dialogue dans la formule que choisiront ceux qui descendent dans la rue. Il a fait savoir que le dialogue permettra de trouver un terrain d’entente. Selon certains indices, l’Algérie est prête à cette nouvelle étape. Le Hirak a constitué une forme de pression et il continuera à l’être, que ce soit à travers la rue ou à travers d’autres canaux comme les réseaux sociaux, les médias ou les organisations de la société civile.
— Elu dans de telles conditions, le nouveau président a-t-il une véritable légitimité ?
— Les élections ont été tenues dans des circonstances exceptionnelles dans un contexte de crise politique aiguë. Dans ce contexte donc, un taux de participation de 40% est tout à fait correct. Lors de la précédente présidentielle, ce taux avoisinait les 50%. Il n’y a donc pas de différence notable et l’abstention est un phénomène courant de par le monde. Quant à la légitimité du président, elle n’est pas uniquement basée sur le taux de participation. Les conditions dans lesquelles se tient le scrutin sont un indice important: dans cette élection, aucun recours n’a été déposé. La légitimité démocratique émane du choix de la majorité, et la majorité a choisi Tebboune.
— Selon vous, comment le nouveau président algérien va-t-il gérer la période à venir ?
La gestion de
la contestation sera
la tâche majeure
du nouveau président.
— Le président élu a parlé de 54 engagements. Sa priorité, il l’a dit, est d’amender la Constitution. A cet effet, des consultations seront tenues dans la période à venir avec les spécialistes et la classe politique afin de rédiger une nouvelle Constitution qui dessine les contours de la nouvelle République, qui consolide la démocratie, qui « moralise » la vie politique et qui réglemente le rôle du « contre-pouvoir » afin de permettre à tous les points de vue de s’exprimer. La deuxième priorité du président est la loi électorale.
— Abdelmadjid Tebboune peut-il se défaire de l’étiquette de « candidat du système » ?
— Le président élu a servi l’Algérie pendant 50 ans. Il a été vice-wali, puis wali (gouverneur) à plusieurs reprises, puis ministre, également à plusieurs reprises. Il a notamment marqué de son empreinte le domaine de l’habitat, lorsqu’il était ministre de l’Habitat en construisant des logements destinés à la classe moyenne. Tebboune est le seul premier ministre à avoir occupé ce poste seulement 81 jours suite à la pression qu’il a subie de la part des hommes d’affaires après avoir lancé sa campagne contre la corruption. D’ailleurs, il a toujours plaidé pour la séparation entre l’argent et la politique.
— Comment analysez-vous les premières déclarations du président élu ?
— D’après les premières déclarations de Tebboune, ce dernier tend à vouloir calmer la situation à travers ses appels à unir les rangs, ses appels au dialogue avec le Hirak et avec tous ceux qui le désirent, et à travers la main tendue vers toutes les parties sans exception. Et ce, afin de trouver une issue aux problèmes que traverse l’Algérie. Ses premières déclarations vont dans le sens de l’apaisement.
— La tenue de la présidentielle était en soi problématique. Maintenant que le pays a un nouveau président élu, vers où va l’Algérie ?
— Il faut attendre les premières décisions et les premières mesures que le nouveau président va prendre. Et il faudra attendre la réaction de la classe politique et du Hirak. Tant que la jeunesse fait l’objet de l’attention du pouvoir, l’espoir de surmonter la situation actuelle existe.
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