Malgré le déploiement massif des forces de sécurité, des milliers d’Iraqiens continuent quasi quotidiennement à manifester à Bagdad et dans d’autres villes du pays, notamment dans le sud, dans l’attente de la nomination d’un nouveau premier ministre, suite à la démission de Adel Abdel-Mahdi, la semaine dernière. Le président doit choisir le premier ministre, mais après des propositions présentées par le bloc du chef chiite Moqtada Sadr. Or, la position de ce dernier, même s’il a dit soutenir le mouvement de la rue et a été parmi les premiers à réclamer la démission du gouvernement de Abdel-Mahdi, est trouble. Vendredi 6 décembre, sa maison a été visée par un obus tiré par un drone. Son porte-parole a averti que cette attaque pourrait déclencher une guerre civile, tout en appelant à la retenue. Moqtada Sadr, qui n’était pas chez lui au moment de l’attaque, s’était en fait rendu en Iran avant cette attaque, alors que l’ingérence iranienne est de plus en plus ouvertement conspuée en Iraq. « Ce déplacement n’est pas un hasard. C’est le bloc parlementaire de Sadr qui doit choisir le nouveau premier ministre et par la suite doit approuver le nouveau gouvernement », dit Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. « Il est vrai que Sadr a affirmé à plusieurs reprises qu’il refusait l’ingérence iranienne dans son pays, mais il existe toujours des liens tacites entre les dirigeants iraqiens, leurs homologues iraniens, et même américains », estime-t-elle tout en expliquant que « chaque camp exerce des pressions et protège ses intérêts pour maintenir l’équilibre entre les forces politiques ».
L’Iran en première ligne
En effet, l’Iran est en première ligne dans les négociations pour un nouveau gouvernement en Iraq, mais il est aussi plus exposé que jamais à la colère des manifestants qui l’accusent d’être l’architecte du système politique iraqien qu’ils jugent corrompu et incompétent.
Ces derniers veulent une nouvelle Constitution, un nouveau système des élections et une nouvelle classe politique après que l’actuelle, inchangée depuis 16 ans, a fait évaporer l’équivalent de deux fois le PIB du pays riche en pétrole dans la corruption. Le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité religieuse chiite d’Iraq, a appelé à préserver le futur gouvernement, qui doit remplacer d’ici 10 jours celui de Adel Abdel-Mahdi, des interférences étrangères. Sistani s’est surtout dégagé de toute responsabilité vis-à-vis du cabinet à venir, affirmant ne jouer aucun rôle dans sa nomination, actuellement négociée sous l’égide de deux émissaires de Téhéran, le général Qassem Soleimani et le dignitaire chiite en charge du dossier iraqien au Hezbollah libanais, Mohamad Kaoutharani.
Depuis plusieurs jours, les partis politiques tentent de faire émerger un candidat acceptable partout dans le pays. Les négociations sont très difficiles. Les discussions au parlement sur une nouvelle loi électorale censée faire émerger une assemblée plus jeune et plus représentative sont loin de satisfaire les protestataires. Ils réclament la fin du système de répartition des postes en fonction des appartenances ethniques et confessionnelles et, pour certains, du régime parlementaire. Déjà, le camp kurde, qui a engrangé des acquis principalement économiques durant les 13 mois au pouvoir du chef du gouvernement démissionnaire, reste très prudent. Les Kurdes veulent préserver la part des revenus du pétrole qu’ils négocient âprement avec Bagdad et réclamer « des garanties » pour que les éventuelles réformes de la Constitution ne remettent pas cela en cause. Et cela, c’est une autre paire de manche.
En attendant et avant de plus amples changements, les autorités doivent trouver une personnalité de consensus pour sortir de la crise actuelle. « Le choix du premier ministre doit satisfaire au minimum les manifestants. Certains parlent du général Abdel-Wahab Al-Saadi, récemment écarté et jouissant d’une certaine popularité parmi la population. Mais le plus dangereux dans cette crise c’est qu’une partie de la classe politique veut un rôle américain pour régler la crise. Or, cette crise vient à point pour les Américains, qui l’utilisent comme carte de pression contre l’Iran », conclut l’experte.
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