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La contestation jusqu’au bout

Maha Salem avec agences, Mardi, 03 décembre 2019

Dans une tentative d'apaiser le mouvement de protestation, le premier ministre iraqien, Adel Abdel-Mahdi, a démissionné. Une mesure qui reste insuffisante pour les manifestants, déterminés à poursuivre leur contestation jusqu'à la réalisation de leurs revendications.

La contestation jusqu’au bout
Les manifestants sont déterminés à poursuivre leurs protestations. (Photo : AP)

Après deux mois de manifestations achar­nées en Iraq, le parle­ment a accepté, dimanche dernier, la démission du gouvernement de Adel Abdel-Mahdi. Le mouvement de contes­tation avait reçu, vendredi, un sou­tien de poids de deux côtés. D’un côté, les Etats-Unis ont appelé les leaders iraqiens à répondre aux revendications légitimes des mani­festants, notamment en matière de corruption. « Nous partageons les inquiétudes légitimes des protesta­taires et continuons d’exhorter le gouvernement iraqien à mettre en place les réformes exigées par le peuple, y compris celles concer­nant le chômage, la corruption et une réforme électorale », a déclaré une porte-parole du département d’Etat américain. « L’un des objec­tifs de la diplomatie américaine à l’égard de Bagdad est d’exiger des Iraqiens de prendre leurs distances de leur voisin iranien, bête noire de Washington. Le chef de la diplo­matie américaine, Mike Pompeo, avait aussi menacé d’imposer des sanctions à des responsables ira­qiens épinglés pour avoir volé des richesses », analyse Mona Soliman, professeure à la faculté d’économie et de sciences poli­tiques de l’Université du Caire.

De l’autre côté, le grand ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité chiite du pays, a appelé le parlement à remplacer le gouvernement de Abdel-Mahdi. Les députés d’oppo­sition alliés à l’ex-premier ministre Haider Al-Abadi et au turbulent Moqtada Sadr, premier bloc au par­lement, se sont d’ores et déjà dits prêts à retirer leur confiance au cabinet. Quant aux paramilitaires pro-Iran du Hachd Al-Chaabi, 2e bloc au parlement et qui jusqu’ici soutenait fortement le gouverne­ment, ils ont semblé se plier aux directives du grand ayatollah et ont appelé aux changements néces­saires dans l’intérêt de l’Iraq.

Décidée dans l’objectif de satis­faire les protestataires, la démission du gouvernement est pourtant loin de satisfaire ces derniers, qui la jugent insuffisante. La liste de leurs revendications reste longue, et ils ont annoncé qu’ils ne céderaient pas, même si les autorités renfor­cent la répression. Qu’ils poursui­vraient la désobéissance civile, qui bloque la majorité du pays. « La situation en Iraq ne changera pas facilement, car les deux côtés cam­pent sur leurs positions. Si les auto­rités ont essayé de réprimer les protestations par la force, cette répression n’a fait qu’enflammer davantage la colère des manifes­tants. Malgré le bilan lourd de la répression — plus de 420 morts et près de 20 000 blessés —, les pro­testataires continuent de manifester à Bagdad et dans le sud, affirmant vouloir maintenir leurs campe­ments et le blocage des routes jusqu’au départ de tous les corrom­pus », explique Mona Soliman.

Ils n’ont rien à perdre

Les forces de sécurité iraqiennes accusent des tireurs embusqués non identifiés d’avoir tiré sur elles et sur les manifestants. Le Conseil suprême de la magistrature a pro­mis les peines les plus sévères à l’encontre de ceux qui ont tué ou blessé des manifestants, tandis que le nom de son chef, Faëq Zeidan, circule dans les cercles politiques comme possible premier ministre. Pour exprimer leur colère face aux nombreux morts et blessés, une journée de deuil a été observée par les manifestants dimanche 1er décembre dans tout l’Iraq, y com­pris dans des régions sunnites, jusqu’ici à l’écart de la contestation. Dans un effort d’apaisement, l’As­semblée a annoncé qu’elle allait demander au président de la République, Barham Saleh, de nommer un nouveau premier ministre.

En attendant, Abdel-Mahdi, un indépendant sans base partisane ni populaire nommé il y a 13 mois, reste à son poste pour gérer les affaires courantes. « La démission du gouvernement n’est qu’une pre­mière étape pour les manifestants. Ceux-ci revendiquent la démission du parlement et du président ainsi que des élections anticipées sans conditions. Et ils ne veulent plus d’intervention de l’Iran. Pour eux, tout le système politique doit être changé. Ils exigent avant tout de stopper la corruption, davantage d’emplois, la diminution du chô­mage et de meilleurs services publics et conditions de vie. Ils ne vont pas accepter n’importe quel nom comme le premier ministre, et la personne qui occupera ce poste doit leur présenter un plan faisable. Ils n’ont rien à perdre et vont conti­nuer leur vague de contestations », explique Mona Soliman.

En Iraq, l’un des pays les plus riches en pétrole au monde, un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et les infrastructures sont déliquescentes. Et ce, alors qu’en 16 ans, on soupçonne que l’équiva­lent de deux fois le PIB s’est éva­poré dans les poches de politiciens et d’entrepreneurs malhonnêtes. Alors que Abdel-Mahdi est le pre­mier chef de gouvernement à se retirer avant la fin de son mandat, l’Iraq, dont la Constitution ne pré­voit pas la possibilité d’une démis­sion, entre dans l’inconnu. La classe politique a essayé de défiler plusieurs noms, qui ont toutefois tous été rejetés par les manifestants. Le choix d’un autre premier ministre sera donc une tâche diffi­cile et des élections anticipées sont possibles.

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