Les manifestants sont déterminés à poursuivre leurs protestations. (Photo : AP)
Après deux mois de manifestations acharnées en Iraq, le parlement a accepté, dimanche dernier, la démission du gouvernement de Adel Abdel-Mahdi. Le mouvement de contestation avait reçu, vendredi, un soutien de poids de deux côtés. D’un côté, les Etats-Unis ont appelé les leaders iraqiens à répondre aux revendications légitimes des manifestants, notamment en matière de corruption. « Nous partageons les inquiétudes légitimes des protestataires et continuons d’exhorter le gouvernement iraqien à mettre en place les réformes exigées par le peuple, y compris celles concernant le chômage, la corruption et une réforme électorale », a déclaré une porte-parole du département d’Etat américain. « L’un des objectifs de la diplomatie américaine à l’égard de Bagdad est d’exiger des Iraqiens de prendre leurs distances de leur voisin iranien, bête noire de Washington. Le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, avait aussi menacé d’imposer des sanctions à des responsables iraqiens épinglés pour avoir volé des richesses », analyse Mona Soliman, professeure à la faculté d’économie et de sciences politiques de l’Université du Caire.
De l’autre côté, le grand ayatollah Ali Sistani, la plus haute autorité chiite du pays, a appelé le parlement à remplacer le gouvernement de Abdel-Mahdi. Les députés d’opposition alliés à l’ex-premier ministre Haider Al-Abadi et au turbulent Moqtada Sadr, premier bloc au parlement, se sont d’ores et déjà dits prêts à retirer leur confiance au cabinet. Quant aux paramilitaires pro-Iran du Hachd Al-Chaabi, 2e bloc au parlement et qui jusqu’ici soutenait fortement le gouvernement, ils ont semblé se plier aux directives du grand ayatollah et ont appelé aux changements nécessaires dans l’intérêt de l’Iraq.
Décidée dans l’objectif de satisfaire les protestataires, la démission du gouvernement est pourtant loin de satisfaire ces derniers, qui la jugent insuffisante. La liste de leurs revendications reste longue, et ils ont annoncé qu’ils ne céderaient pas, même si les autorités renforcent la répression. Qu’ils poursuivraient la désobéissance civile, qui bloque la majorité du pays. « La situation en Iraq ne changera pas facilement, car les deux côtés campent sur leurs positions. Si les autorités ont essayé de réprimer les protestations par la force, cette répression n’a fait qu’enflammer davantage la colère des manifestants. Malgré le bilan lourd de la répression — plus de 420 morts et près de 20 000 blessés —, les protestataires continuent de manifester à Bagdad et dans le sud, affirmant vouloir maintenir leurs campements et le blocage des routes jusqu’au départ de tous les corrompus », explique Mona Soliman.
Ils n’ont rien à perdre
Les forces de sécurité iraqiennes accusent des tireurs embusqués non identifiés d’avoir tiré sur elles et sur les manifestants. Le Conseil suprême de la magistrature a promis les peines les plus sévères à l’encontre de ceux qui ont tué ou blessé des manifestants, tandis que le nom de son chef, Faëq Zeidan, circule dans les cercles politiques comme possible premier ministre. Pour exprimer leur colère face aux nombreux morts et blessés, une journée de deuil a été observée par les manifestants dimanche 1er décembre dans tout l’Iraq, y compris dans des régions sunnites, jusqu’ici à l’écart de la contestation. Dans un effort d’apaisement, l’Assemblée a annoncé qu’elle allait demander au président de la République, Barham Saleh, de nommer un nouveau premier ministre.
En attendant, Abdel-Mahdi, un indépendant sans base partisane ni populaire nommé il y a 13 mois, reste à son poste pour gérer les affaires courantes. « La démission du gouvernement n’est qu’une première étape pour les manifestants. Ceux-ci revendiquent la démission du parlement et du président ainsi que des élections anticipées sans conditions. Et ils ne veulent plus d’intervention de l’Iran. Pour eux, tout le système politique doit être changé. Ils exigent avant tout de stopper la corruption, davantage d’emplois, la diminution du chômage et de meilleurs services publics et conditions de vie. Ils ne vont pas accepter n’importe quel nom comme le premier ministre, et la personne qui occupera ce poste doit leur présenter un plan faisable. Ils n’ont rien à perdre et vont continuer leur vague de contestations », explique Mona Soliman.
En Iraq, l’un des pays les plus riches en pétrole au monde, un habitant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté et les infrastructures sont déliquescentes. Et ce, alors qu’en 16 ans, on soupçonne que l’équivalent de deux fois le PIB s’est évaporé dans les poches de politiciens et d’entrepreneurs malhonnêtes. Alors que Abdel-Mahdi est le premier chef de gouvernement à se retirer avant la fin de son mandat, l’Iraq, dont la Constitution ne prévoit pas la possibilité d’une démission, entre dans l’inconnu. La classe politique a essayé de défiler plusieurs noms, qui ont toutefois tous été rejetés par les manifestants. Le choix d’un autre premier ministre sera donc une tâche difficile et des élections anticipées sont possibles.
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