Poursuite des manifestations dans les principales villes, paralysie totale du pays, craintes financières accrues, la crise perdure au Liban où la contestation ne fléchit pas un mois après son déclenchement. Au contraire, le mécontentement de la rue face à la classe politique ne cesse de grandir. Après que le nom de Mohamad Safadi, ancien ministre libanais des Finances, eut été proposé pour occuper le poste de premier ministre, ce dernier a dû renoncer à accepter cette mission. Dans un communiqué publié samedi 16 novembre, M. Safadi, richissime homme d’affaires de 75 ans, a jugé difficile de former un gouvernement « harmonieux » dans les circonstances actuelles, disant espérer que le premier ministre démissionnaire, Saad Hariri, serait reconduit à son poste. Car la veille, les manifestants avaient accueilli avec consternation et colère des informations sur la possible désignation de M. Safadi comme prochain premier ministre, le qualifiant de « corrompu » et membre de la classe politique dont ils réclament le départ depuis un mois. Dans plusieurs villes du pays, y compris à Tripoli (nord), dont M. Safadi est originaire, ils ont crié leur refus d’une telle nomination.
Le nom de cet ancien ministre n’a pourtant pas été officiellement annoncé et seuls la presse locale et certains responsables avaient affirmé que les principales forces politiques avaient convenu de désigner l’ex-ministre des Finances pour remplacer Saad Hariri, qui a démissionné le 29 octobre sous la pression de la rue.
Or, le seul fait d’avoir envisagé cette voie pour sortir de la crise témoigne de l’ampleur du fossé qui sépare la classe politique de la rue. Sans parler du contexte dans lequel la décision de choisir M. Safadi aurait été prise : une réunion informelle, hors de tout cadre institutionnel. La Constitution exige que le premier ministre soit nommé par le président de la République à l’issue de consultations formelles des députés. Du côté de la présidence, aucune annonce officielle n’a été faite, alors que le président Michel Aoun n’a toujours pas entamé les consultations parlementaires à l’issue desquelles il doit nommer le premier ministre.
La crise s’est donc bel et bien installée au sein de la classe politique et la fracture est consommée entre les différents partis. Le premier ministre démissionnaire, Saad Hariri, a ainsi accusé, dimanche 17 novembre, le parti du ministre des Affaires étrangères et gendre du chef de l’Etat, Gebran Bassil, de torpiller la mise sur pied d’un nouveau gouvernement. Il a indiqué qu’il n’envisageait de conserver son poste — un des scénarios évoqués — qu’en cas de formation d’un cabinet de technocrates. Le parti de M. Bassil, le Courant Patriotique Libre (CPL, parti présidentiel), a aussitôt répondu, accusant M. Hariri d’oeuvrer pour que ce soit lui « et personne d’autre » qui dirige le nouveau cabinet, et c’est pourquoi, selon le CPL, il tient à un gouvernement de technocrates.
C’est donc autour du nom du chef du gouvernement que la crise se cristallise. Cité par l’AFP, le politologue Ziad Majed explique : « Les ténors du pouvoir n’arrivent pas à trouver un premier ministre capable de calmer au moins une partie de la rue, et préserver en même temps leurs intérêts. Ils ne veulent pas introduire des réformes sérieuses qui aillent au-delà d’un sauvetage obligatoire et temporaire de la situation financière alarmante ».
Autre problématique, le choix du premier ministre doit répondre aux mêmes critères, vu qu’il n’y a pas eu d’élections anticipées ; autrement dit, il doit répondre à la configuration du parlement actuel, ce qui risque de donner lieu à un cabinet quasi similaire à celui démissionnaire. Pour sortir de cette impasse, le président libanais, Michel Aoun, a proposé un gouvernement « techno-politique » formé d’experts et de représentants des partis. Encore faut-il trouver les personnes qui puissent satisfaire l’opinion publique et sortir le pays de la crise.
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