Le premier ministre tunisien, Habib Jemli, doit former son équipe dans un délai d'un mois.
(Photo:AFP)
La scène politique avance d’un pas rapide en Tunisie. En une semaine, deux nouveaux dirigeants ont été choisis: Rached Ghannouchi, leader du parti d’inspiration islamiste Ennahda (premier groupe parlementaire), à la tête du parlement, et Habib Jemli, le candidat d’Ennahda, à la tête du gouvernement. Selon la Constitution, en effet, le président du parlement doit proposer le nom du premier ministre soit du même parti ou d’un autre parti et les raisons de ce choix, à son tour, le président de l’Etat a le droit d’accepter ou non. « Le choix du Conseil consultatif de la choura du parti Ennahda s’est porté sur une personne connue pour sa compétence, son intégrité et son expérience dans l’administration », a déclaré Abdelkarim Harouni, président de cette instance. Une fois nommé, le premier ministre a un mois, renouvelable une fois, pour choisir les membres du futur gouvernement. Ce dernier doit ensuite être approuvé par une majorité de députés. A défaut de majorité à l’issue de ce délai, le président Kais Saied pourra proposer une autre personnalité. Si, à son tour, celle-ci échoue à former un gouvernement, le dernier recours est la tenue d’élections anticipées.
Du pain sur la planche
Dans sa première déclaration, le nouveau premier ministre a tendu la main à toutes les tendances. « Le choix des membres du gouvernement sera basé sur les compétences et l’intégrité, quelle que soit leur appartenance politique. Nous sommes ouverts à toutes les forces politiques », a déclaré Habib Jemli, dans une vidéo publiée sur la page Facebook de la présidence de la République. Mais Jemli, âgé de 60 ans, a de lourdes tâches à accomplir. Si la sécurité s’est nettement améliorée ces dernières années, après une série d’attentats djihadistes dévastateurs en 2015, le chômage continue de frapper la population, notamment les jeunes, et l’inflation grignote un pouvoir d’achat déjà faible, en plus d’un lourd fardeau de dettes. Jemli hérite ainsi d’un bilan économique politique du gouvernement sortant, appuyé par Ennahda, peu reluisant. Et avant les défis économiques et sociaux, Jemli doit maintenir l’équilibre entre les forces politiques.
« Le nouveau premier ministre doit rassurer l’opinion publique, qui craint la domination du parti Ennahda sur le pays. Les Tunisiens ont une mauvaise expérience avec Ennahda, qui a essayé, avant l’arrivée de l’ancien président Essebsi, de contrôler le pays et dominer toutes ses institutions », estime Dr Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Selon elle, « même si ce parti a remporté les élections législatives, il n’aura qu’une courte majorité au parlement. La classe intellectuelle a des doutes tant sur ses intentions que sur ses performances. Et Ennahda est accusé par certains d’être derrière l’assassinat de plusieurs intellectuels, tel Choukri Belaïd. On s’attend donc à une période mouvementée au niveau politique ». Et l’experte de s’interroger: « Ennahda a-t-il appris la leçon? Va-t-on essayer de gagner la confiance des Tunisiens ou bien va-t-il tenter de s’imposer ? ».
D’ores et déjà, certains se montrent sceptiques quant au choix de Jemli, sa précédente expérience du pouvoir en 2013 (ancien secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Agriculture de 2011 à 2014, dans les deux gouvernements de Hamadi Jebali et Ali Larayedh du mouvement Ennahda) s’étant achevée par une grave crise.
Essayant d’assurer l’opinion publique, Ennahda a présenté, vendredi 15 novembre, à la presse un document d’accord qui sera discuté lors des négociations avec les autres partis pour former un nouveau gouvernement avec des ministres compétents. Ce document est comme un contrat qui doit être signé, après concertations, par toutes les composantes du futur gouvernement. Lors d’une conférence de presse, Imed Khemiri, porte-parole de ce parti, a indiqué que ce contrat résumait les grandes lignes du programme de travail du nouveau cabinet. Ce programme se concentre sur la lutte contre la corruption et la pauvreté, le renforcement de la sécurité, le développement de l’éducation et des services publics, l’augmentation des investissements, ainsi que le parachèvement du processus constitutionnel et l’instauration d’une gouvernance locale .
Alliance inattendue
Avec l’appui du parti de l’homme d’affaires controversé Nabil Karoui, Rached Ghannouchi a été élu président du parlement dès le premier tour à la majorité absolue, avec 123 voix sur 217, après un accord inattendu avec le parti libéral Qalb Tounes, de Nabil Karoui, parti qui avait pourtant rejeté une telle alliance dans un premier temps. « Au niveau de la présidence du parlement, il y a eu un compromis entre nous et Ennahda pour l’intérêt de la Tunisie », a assuré un député de Qalb Tounes, Ossama Khlifi, sans préciser si des accords ont aussi été passés sur la composition du prochain gouvernement. M. Karoui, vaincu à la présidentielle le 13 octobre par Kais Saied, un universitaire sans parti, avait pourtant tenté de se poser en rempart contre l’islamisme durant la campagne, et son parti avait exclu, avec véhémence, une telle alliance. Mais avec seulement un quart des sièges dans un parlement morcelé, Ennahda doit faire d’importantes concessions pour arriver à ses fins. Cette alliance de dernière minute rappelle le « consensus » mis en place après les législatives de 2014 entre le parti vainqueur, Nidaa Tounes, et Ennahda, mais les deux formations s’étaient alliées de façon plus organisée et disposaient alors d’une très confortable majorité.
Mais à eux deux, Qalb Tounes, qui comprend de nombreux anciens de Nidaa Tounes, et Ennahda, ne rassemblent que 90 sièges sur 217, loin de la majorité absolue requise pour valider le nouveau gouvernement. Et le parlement est morcelé entre des dizaines de formations très divergentes, dont nombre ont exclu de travailler les unes avec les autres.
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