Au moins une centaine de personnes tuées et plus de 6 000 blessées depuis le début, mardi premier octobre, d’un mouvement de contestation en Iraq, selon le dernier bilan publié, lundi 7 octobre, par la Commission gouvernementale des droits de l’homme iraqienne. Un lourd bilan qui a poussé les manifestants à camper sur leurs positions, ils insistent à poursuivre leur mouvement jusqu’à la réalisation de leurs revendications. Né d’appels sur les réseaux sociaux, le mouvement de contestation dénonce la corruption, la déliquescence des services publics dans un pays en pénurie chronique d’électricité et d’eau potable, ainsi que le chômage des jeunes. Ce dernier facteur, considéré comme le premier moteur de la contestation, est une question sensible en Iraq, où un jeune s’est immolé en septembre à Kout (sud) après s’être vu confisquer son chariot de vendeur ambulant.
Le mouvement de contestation touche essentiellement la capitale Bagdad et le sud du pays. Spontané et sans leadership, il est présenté par les manifestants comme non partisan, par opposition aux précédentes mobilisations. « L’Iraq a connu trois mouvements de contestation en 2011, 2015 et 2018. Mais cette fois, le mouvement est plus fort et plus violent à cause de nombre de morts et de blessés », explique Dr Mona Soliman, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.
Dans une tentative de calmer les protestateurs, le gouvernement de Adel Abdel-Mahdi a annoncé, dimanche 6 octobre, un décret comprenant 17 mesures sociales, allant de l’aide au logement à l’allocation de pensions aux jeunes sans emploi. Il a également décidé, à l’issue d’un Conseil extraordinaire, la construction de 100 000 logements et a ordonné l’installation de halles pour les vendeurs ambulants, dans une tentative de créer des emplois, notamment parmi les jeunes dont un sur quatre est au chômage. Confronté à son plus grand défi depuis son entrée en fonctions il y a un an, Adel Abdel-Mahdi a par ailleurs annoncé avoir inscrit les personnes tuées depuis le début de ce mouvement dans les violences sur la liste des « martyrs », ouvrant la voie à des dédommagements pour leurs proches.
Pression politique
Pendant que la rue bouillonnait, une réunion du parlement consacrée à la crise ne s’est pas tenue comme prévu, samedi 5 octobre, faute de quorum, les 54 députés de la coalition de l’influent leader chiite Moqtada Sadr, premier bloc à l’assemblée, ayant décidé de la boycotter avec d’autres formations. Ce dernier, dont la coalition participe au gouvernement, a repris à son compte la principale revendication des manifestants et a appelé le gouvernement à démissionner pour empêcher davantage d’effusion du sang. Il a aussi appelé à des élections anticipées sous supervision de l’Onu. Sadr, qui est devenu ces dernières années le héraut des manifestations anticorruption, a appelé ses nombreux partisans à organiser des « sit-in pacifiques » tout en laissant au mouvement son caractère populaire et non partisan. Cet appel d’un poids lourd de la politique iraqienne risque de mobiliser ses très nombreux partisans qui pourraient se joindre aux manifestations à Bagdad et dans plusieurs villes chiites du sud du pays. Et il n’est pas le seul. Le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité chiite du pays, a sommé le pouvoir de répondre rapidement aux demandes des manifestants. « Le gouvernement doit améliorer les services publics, trouver des emplois, éviter le clientélisme dans le service public et en finir avec les dossiers de corruption. Si les manifestations faiblissent pour un temps, elles reprendront et seront plus fortes et plus massives », a averti Ahmed Al-Safi, représentant de Sistani.
Face à cette situation, les autorités tentent de contenir la crise, tout en faisant savoir qu’il n’y avait pas de solution miracle. Elles ont réclamé du temps aux manifestants pour mettre en place des réformes afin d’améliorer les conditions de vie. Le premier ministre a certes dit comprendre la frustration de la population et vouloir répondre aux « demandes légitimes » des manifestants, il a cependant insisté qu’il n’existait pas de « solution magique » aux problèmes du pays. Mais selon Mona Soliman, « les Iraqiens sont là, car les promesses restent en général sans lendemain ». D’ailleurs, selon l’experte, outre les difficultés économiques, les Iraqiens voient d’un mauvais oeil le fait que leur économie et leur politique soient liées à celles iraniennes. Des voix s’élèvent pour en finir avec cela. Et d’ajouter : « Le limogeage du général Abdelwahab Al-Saadi a mis de l’huile sur le feu car à Baghdad, les rumeurs qui courent disent que ce limogeage répond à la revendication de la milice chiite Al-Hachd Al-Chaabi. Les Iraqiens craignent que ce limogeage ne soit un prélude à une intégration des milices chiites au sein de l’armée, voire à une domination de ces milices sur l’armée, ce qui équivaut à une plus grande influence iranienne sur l’Iraq ».
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