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Tunisie : Le malaise

Abir Taleb avec agences, Mardi, 30 juillet 2019

Survenus en pleine période préélectorale marquée par d’importantes tensions politiques, le double attentat terroriste et l’hospitalisation du président ont fait entrer la Tunisie dans une nouvelle phase d’incertitude.

Tunisie : Le malaise
La résurgence de la menace terroriste s'ajoute aux tensions politiques préélectorales. (Photo : AFP)

Double attentat au centre de Tunis en pleine saison touristique, hospitalisation du président Béji Caïd Essebsi, les deux événements du jeudi 27 juin ont soufflé un vent d’inquiétude en Tunisie, d’autant plus que le pays est en période préélectorale chargée de tiraillements politiques, les élections législatives et présidentielle étant prévues en octobre et novembre prochains. Alors que la tension était latente au cours de ces derniers mois, elle a éclaté au grand jour en une seule journée. Le double attentat du jeudi 27 juin (un policier mort et huit blessés), au coeur de la capitale tunisienne, visait en effet les forces de police et a été revendiqué par Daech. « C’est une opération terroriste lâche » qui « vise à déstabiliser l’économie et la transition démocratique alors que nous sommes au début de la saison touristique et à quelques mois des élections », a réagi le premier ministre tunisien, Youssef Chahed.

Des paroles apaisantes sauf que, peu après les attentats, la présidence de la République tunisienne a indiqué que le président Béji Caïd Essebsi, 92 ans, a été hospitalisé après avoir fait un « grave » malaise. C’est la deuxième fois en deux semaines que le président est hospitalisé. Certes, la présidence a ensuite rassuré que son état s’était amélioré, affirmant même qu’il devrait sortir de l’hôpital prochainement et qu’il aurait eu un entretien avec le ministre de la Défense vendredi 28 juin afin de faire le point sur la situation sécuritaire du pays, il n’en demeure pas moins que l’inquiétude s’est bel et bien installée. Et si les paroles du premier ministre peuvent rassurer sur la saison touristique, sur le plan politique, l’affaire est tout autre même si officiellement, on insiste sur le fait qu’il n’y a pas de vacance politique du fait de l’hospitalisation du président.

Risque de vide politique ?

Or, les Tunisiens ont raison de s’inquiéter : si l’on s’alarme tant autour de la santé du président, c’est parce qu’une éventuelle incapacité à gouverner de sa part pourrait placer le pays face à un périlleux vide politique car la Cour constitutionnelle, l’instance habilitée à constater une vacance définitive du pouvoir et donc à encadrer juridiquement le processus de succession, n’a toujours pas vu le jour en raison de divergences entre les partis politiques. Pourtant, cinq années sont passées depuis l’adoption de la Constitution. Une « instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi » a toutefois été mise en place et c’est donc à elle que reviendra la responsabilité de la gestion d’une éventuelle vacance du pouvoir.

Sur place, pendant que les réseaux sociaux font dans la surenchère quant à l’état de santé du président, au parlement se joue une partie inattendue après le « grave malaise » de Béji Caïd Essebsi, certains redoutant un « coup d’Etat médical » comme celui qui avait évincé en 1987 le président Bourguiba au profit de Zine el-Abidine Ben Ali. Les groupes parlementaires de la coalition gouvernementale semblent en effet projeter un retrait de confiance au président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP), Mohamed Ennaceur, arguant de son absence due à son état de santé. L’action n’a pas été encore prise, mais le malaise est réel et intervient au moment où les clivages autour des amendements apportés au code électoral font planer le doute sur un éventuel report des élections législatives et présidentielle. En réponse à la réunion de l’assemblée, la présidence a déclaré : « L’état de santé de Béji Caïd Essebsi est stable et ce dernier reçoit les soins nécessaires ». « La réunion qui a eu lieu à l’assemblée n’a rien à voir avec l’état de santé du président », a ajouté la porte-parole de la présidence, Saïda Garrach, en tentant de calmer les esprits.

Ces derniers événements font suite à une série de tensions politiques en Tunisie. Le 18 juin dernier, une nouvelle loi électorale a vu le jour, et ce, à deux mois du dépôt des candidatures à la présidentielle. Des amendements controversés qui ont déclenché d’importants remous politiques, car ils sont à même d’empêcher plusieurs candidats de poids de se présenter à la présidentielle. Par exemple, l’un des amendements exige que les candidats respectent individuellement durant les 12 mois précédant le scrutin les mêmes obligations que les partis : pas de fonds étrangers, ni de dons de sociétés, pas de distribution d’aide, ni de publicité politique. Ceci a été perçu par certains comme un moyen d’écarter certains candidats, comme le magnat des médias Nabil Karoui, qui a gagné en popularité en organisant des actions de charité diffusées quotidiennement sur la chaîne qu’il a fondée, Nessma.

Cette loi est venue s’ajouter au bras de fer au sein même du cercle du pouvoir. Quelques semaines plus tôt en effet, le parti Tahya Tounès, fondé par des partisans du premier ministre tunisien, Youssef Chahed, était officiellement lancé dans un contexte de tensions avec la formation du président Essebsi, Nidaa Tounès. Le parti Tahya Tounès est notamment constitué de dissidents de Nidaa Tounès décimé par d’âpres luttes de pouvoir ayant notamment abouti à l’éviction de M. Chahed. Ce dernier, élu président du nouveau parti, entretient toujours le flou quant à sa possible candidature à la présidentielle, ce qui ajoute à la confusion politique actuelle.

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