Les manifestations se poursuivent malgré les mesures annoncées par le régime. (Photo : Reuters)
Deux processus vont de pair aujourd’hui en Algérie: celui de la transition et celui du mouvement populaire de contestation. Chacun avançant de son côté, déterminé à aller jusqu’au bout. Du côté des contestataires, des centaines de milliers de personnes ont à nouveau manifesté le 19 avril, pour le 9e vendredi de suite. Des manifestations qui ne se sont pas essoufflées depuis la démission de l’ancien président algérien, Abdelaziz Bouteflika. Avec un slogan qui sonne comme une injonction et qui revient de manière récurrente : « Tetnahaou gaa ! » (vous partirez tous!). Car les Algériens qui descendent dans la rue ne se sont pas contentés du départ de M. Bouteflika: estimant que les personnalités issues du « système » mis en place par ce dernier ne permettent pas de garantir un scrutin libre et équitable, ils réclament un changement de fond en comble et un départ de tous les symboles de ce « système », notamment du président par intérim, Abdelkader Bensalah, et du premier ministre, Noureddine Bedoui. Le président du Conseil constitutionnel, Tayeb Belaiz, — qui, avec Abdelkader Bensalah et Noureddine Bedoui, forment les « 3B » dont les contestataires réclament le départ—, a lui démissionné le 16 avril.
Une détermination qui risque de conduire à un véritable blocage puisque toutes les décisions annoncées sont considérées comme des demi-mesures, ou peinent à aboutir à quelque chose de concret. La dernière en date est la réunion convoquée par le président par intérim lundi 22 avril. Cette réunion était censée préparer l’élection présidentielle du 4 juillet prochain. Mais elle a été comprise avant même sa tenue en raison du boycott de la majorité des parties qui y avaient été invitées. M. Bensalah, qui assure l’intérim à la présidence depuis que le chef de l’Etat, Abdelaziz Bouteflika, a été poussé à la sortie début avril par un vaste mouvement de contestation populaire, avait convié tous les partis politiques, syndicats, organisations de la société civile et experts en droit constitutionnel à cette rencontre. Le but étant de discuter des « mécanismes de la mise en place d’une instance nationale indépendante chargée de la préparation et de l’organisation » de la présidentielle. Or, jugeant ces discussions inopportunes, la majorité des partis politiques et l’ensemble des syndicats ont boycotté la rencontre. Seules des formations favorables au pouvoir de l’ancien président, Abdelaziz Bouteflika, avaient répondu présent pour cette consultation destinée à discuter d’une future instance chargée d’organiser le scrutin. M. Bensalah lui-même n’a pas assisté, comme il était prévu, à cette rencontre à laquelle il a été représenté par le secrétaire général de la présidence, Habba El Okbi.
Preuve que la confusion règne, ce dernier a répété que « la présidentielle se tiendra à la date annoncée par le chef de l’Etat ». Pourtant, à la fin de la réunion, dans des recommandations lues devant l’assistance, les participants ont évoqué entre autres « la possibilité de reporter l’élection de quelques semaines si nécessaire » ...
Arrestations d’hommes d’affaires
Autre mesure pour apaiser la contestation, la vague d’arrestation d’hommes d’affaires soupçonnés de corruption, dont celle d’Issad Rebrab, considéré comme la première fortune d’Algérie, PDG du premier groupe privé d’Algérie, Cevital, et de quatre frères de la famille Kouninef, à la tête d’un empire allant de l’agroalimentaire au génie civil pétrolier. L’ex-premier ministre, Ahmed Ouyahia, et l’actuel ministre des Finances, Mohamed Loukal, se sont vu remettre une convocation lundi 22 avril pour être entendus par le Parquet d’Alger dans le cadre d’une enquête pour « dilapidation de deniers publics ». Début avril, l’ex-patron des patrons algériens, Ali Haddad, riche homme d’affaires, également proche de M. Bouteflika, avait été écroué après avoir été arrêté alors qu’il se rendait en Tunisie.
Ces arrestations interviennent alors que le chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, avait appelé le 16 avril la justice à « accélérer la cadence » dans les enquêtes ouvertes pour corruption contre des hommes d’affaires liés à l’ancien clan présidentiel. Dans un discours tenu ce jour-là, M. Gaïd Salah a voulu se montrer proche des Algériens. Il a tenu à les rassurer en réitérant le soutien de l’armée au mouvement de contestation, en condamnant la répression qui avait entaché les manifestations du 12 avril, et en garantissant que l’armée ne retournera pas ses armes contre son peuple et veillera « à ce qu’aucune goutte de sang algérien ne soit versée ». En contrepartie, il a demandé aux Algériens le respect des symboles de l’Etat et la non-violence afin de « préserver les biens publics et privés et d’éviter d’entraver les intérêts des citoyens ».
Mais pour nombre d’Algériens, le discours du chef d’état-major, tout comme sa position, restent flous. « J’insiste une fois encore sur la nécessité de suivre la voie de la sagesse et de la patience », souligne-t-il. L’armée s’engage à accompagner « les institutions de l’Etat durant cette transition », a-t-il dit. Et d’expliquer, en s’exprimant au nom du haut commandement de l’armée : « Nous respectons parfaitement les dispositions de la Constitution pour la conduite de la transition ».
Bref, s’il se dit proche du peuple et du mouvement de contestation, Ahmed Gaïd Salah insiste aussi sur l’importance d’une transition dans le cadre institutionnel actuel, ce que les manifestants rejettent. Et selon lui, « toutes les options restent ouvertes » .
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