Scènes de liesse à Alger suite au renoncement de Bouteflika à un 5e mandat. (Photo: AFP)
Soulagement, satisfaction, euphorie, mais aussi doute, inquiétude et scepticisme. Les sentiments sont confus et contradictoires. Les Algériens ne savent plus s’ils doivent se réjouir ou rester vigilants, se sentir victorieux ou dupés; s’ils peuvent être confiants dans l’avenir ou au contraire le redouter. Communiquée par l’agence de presse officielle APS, la nouvelle est tombée lundi 11 mars en fin d’après-midi, au lendemain de l’annonce du retour du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, de Genève où il subissait des examens médicaux depuis deux semaines, alors que tout le pays était dans l’expectative et que la liste finale des candidats validés par le Conseil constitutionnel était attendue.
L’élection présidentielle est reportée sine die, M. Bouteflika ne sera pas candidat à un 5e mandat. Plusieurs annonces défilent dans les heures qui suivent: le premier ministre, Ahmed Ouyahia, démissionne et est remplacé par le ministre de l’Intérieur, Noureddine Bedoui; un vice-premier ministre est nommé (une première depuis 2012), il s’agit du diplomate chevronné Ramtane Lamamra, qui retrouve en outre le portefeuille des Affaires étrangères (il l’avait détenu entre 2013 et 2017) ; une conférence nationale chargée de réformer le système politique et d’élaborer une nouvelle Constitution d’ici fin 2019 (qui sera ensuite soumise à référendum) sera organisée. Et la date de la présidentielle sera fixée au cours de cette conférence.
Et après ?
Au lendemain de ces annonces, l’heure est aux interrogations. D’abord sur la base légale de ces décisions. Aucun texte — Constitution ou loi— n’est invoqué dans le message de M. Bouteflika pour reporter la présidentielle. Pour la spécialiste de droit constitutionnel Fatiha Benabou, professeure à l’Université d’Alger, citée par l’AFP, « il n’y a pas de base légale pour reporter les élections ». Officiellement, le mandat actuel du président algérien s’achève le 28 avril. Au-delà de cette date, sera-t-on donc dans le vide institutionnel ?
L’autre interrogation porte sur la portée de ces décisions. « En résumé, le pouvoir cède sur le cinquième mandat, mais garde la main sur la gestion de la transition », pointe le site Tout Sur l’Algérie (TSA), une phrase qui résume le sentiment qui règne parmi les Algériens. Car si le président renonce au 5e mandat, comme le lui réclamaient des millions de manifestants depuis plusieurs semaines, il a toutefois assuré rester en poste jusqu’à la présidentielle reportée à une date qui demeure inconnue. Il prolonge ainsi son 4e mandat, devenu l’enjeu de la poursuite du mouvement de contestation. D’ores est déjà, sur les réseaux sociaux, les appels se multiplient pour des manifestations de grande ampleur ce vendredi 15 mars, « la marche de l’affirmation et de la consolidation » qui entend rassembler 20 millions d’Algériens dans les rues.
Selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, « il y a un double facteur derrière ces évolutions: la pression de la rue et la détérioration de l’état de santé du président algérien ». Mais les interrogations sur la suite des événements restent entières. Que va-t-il se passer maintenant? Les manifestants mécontents de ce qu’ils considèrent comme une manoeuvre visant un prolongement du 4e mandat vont-ils poursuivre leur mouvement pour réclamer la démission du président, voire le changement de fond en comble du régime? Comment l’armée va-t-elle réagir? Avant même les décisions annoncées lundi 11 mars, l’armée avait commencé à changer de ton. Dans un message lancé la veille, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée algérienne et vice-ministre de la Défense, (M. Bouteflika occupant lui-même le poste de ministre de la Défense), a dit que l’armée « partage » avec le peuple « les mêmes valeurs et principes ». Et d’ajouter : « Se rejoignent (...) entre le peuple et son armée (...) tous les fondements d’une vision unique du futur de l’Algérie ». Vision unique? Ahmed Gaïd Salah n’avait-il pas fustigé, il y a à peine moins de deux semaines, ceux qui « veulent ramener » l’Algérie aux « années de braise », en rappelant que l’armée, « garante de la stabilité et de la sécurité », était « résolument engagée à garantir » la sécurité de la présidentielle? N’avait-il pas aussi parler, en référence aux appels lancés sur les réseaux sociaux, d’« appels anonymes douteux, prétendument en faveur de la démocratie » et visant à « pousser les Algériens vers l’inconnu » ?
Une chose est sûre, « les cercles du pouvoir, l’armée, l’establishment dans sa totalité sont dans l’urgence de trouver un candidat du régime qui fasse l’objet d’un certain consensus. Et ça, c’est difficile », estime Mourad. Or, c’est justement là toute la question, d’autant plus que l’opposition ne propose, pour l’instant, aucune alternative crédible, aucun leader fédérateur. Certes, comme l’estime l’analyste, « on peut voir le retour de certaines figures de l’opposition qui avaient décidé de boycotter les élections, mais il reste à savoir si elles pourront faire le poids face au candidat de l’armée ».
Face à toutes ces interrogations et au-delà de l’euphorie, les Algériens sont surtout abasourdis. Le saut vers l’inconnu, c’est ce qui est le plus redouté aujourd’hui .
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