De nouvelles manifestations sont prévues ce vendredi 8 mars. (Photo: Reuters)
« j’ai écouté et entendu le cri du coeur des manifestants, et en particulier des milliers de jeunes qui m’ont interpellé sur l’avenir de notre patrie. J’ai le devoir et la volonté d’apaiser les coeurs et les esprits de mes compatriotes » et d’« assumer la responsabilité historique de la concrétisation de l’exigence fondamentale du peuple, c’est-à-dire le changement du système ». Tels sont les mots du président algérien, Abdelaziz Bouteflika, adressés au peuple via son directeur de campagne, Abdelghani Zaalane. C’est ce dernier qui a donné la lecture, devant la presse, de la lettre présidentielle, dimanche 3 mars, quelques heures après avoir déposé au Conseil constitutionnel à Alger le dossier de candidature du président algérien. Abdelaziz Bouteflika, lui, n’a fait aucune apparition officielle : il est hospitalisé depuis une dizaine de jours en Suisse et son retour n’a toujours pas été annoncé.
Si les Algériens sont habitués à cette absence — l’état de santé de leur président ne lui permettant, ces dernières années, que de rares apparitions publiques —, s’ils s’attendaient à ce qu’il maintienne sa candidature en dépit de l’ampleur des manifestations contre un 5e mandat, le contenu du message les a tout de même pris de court : le président algérien prend « l’engagement », s’il est réélu, d’organiser « une élection présidentielle anticipée » ... à laquelle il ne sera pas candidat. La date de cette élection sera fixée par une « conférence nationale » regroupant « toutes les forces politiques, économiques et sociales de la nation », mise en place après le scrutin et chargée de préparer des « réformes politiques, institutionnelles, économiques et sociales » devant déboucher sur un « nouveau système ». Cette élection anticipée « assurera ma succession dans des conditions incontestables de sérénité, de liberté et de transparence », affirme M. Bouteflika, qui annonce aussi la rédaction d’une nouvelle Constitution, consacrant « la naissance d’une nouvelle République » et qui sera soumise à référendum.
Voilà donc le « package » proposé pour calmer la colère des Algériens, descendus en masse dans les rues ces deux dernières semaines pour clamer leur opposition à un 5e mandat, voire pour réclamer un changement de fond en comble du système. Pour le camp présidentiel et ses alliés, les engagements de M. Bouteflika — mandat écourté et importantes réformes — répondent parfaitement aux revendications du peuple. Le président « a écouté attentivement le peuple algérien, puisqu’il s’est engagé à accéder à leur principale revendication, à savoir un changement de système », explique ainsi son parti, le Front de Libération National (FLN, ancien parti unique). Quant à son principal allié, le Rassemblement National Démocratique (RND) du premier ministre Ahmed Ouyahia, il estime qu’a été apportée « une réponse exhaustive aux demandes des citoyens » et espère donc le retour de la « tranquillité ».
Quels scénarios à venir ?
Pas si sûr cependant de voir ce retour à la normale. L’Algérie est certes restée calme après l’officialisation de la candidature du président sortant, il n’en demeure pas moins que la tension est palpable d’autant plus que les contestataires entendent poursuivre leur mouvement. Des marches de protestation ont, en effet, été organisées dans différentes villes juste après le dépôt de candidature et les jours suivants. Des manifestations d’une ampleur plus importante sont en outre prévues ce vendredi 8 mars. A quoi faut-il s’attendre ensuite ? Là est la question la plus importante. Selon la chercheuse Mona Solimane, trois scénarios sont possibles : « Un remake du Printemps arabe, un retour au calme une fois cette crise contenue, ou une réélection de Bouteflika dans un climat d’instabilité persistante ». C’est sans doute cette dernière éventualité qui est la plus probable.
En effet, personne ne veut, ni à l’intérieur, ni à l’extérieur de l’Algérie, voir le scénario des Printemps arabes se répéter, estime l’analyste. « Pour que le régime tombe, il faut que les manifestations prennent une ampleur inédite, mais surtout qu’elles obtiennent un soutien international. Tant que le mouvement de contestation n’a pas d’appui de l’extérieur, il ne peut aboutir à rien, or, la communauté internationale ne veut surtout pas d’un autre pays instable dans la région, alors que les crises syrienne, libyenne et yéménite ne sont pas encore réglées », dit-elle.
En même temps, il est difficile que la crise soit totalement contenue. « Car pour cela, ajoute-t-elle, il faudrait que le président algérien soit en mesure — et cela est apparemment impossible à l’heure qu’il est — de s’adresser directement au peuple, ce qui lui permettrait de s’attirer la sympathie d’une partie du peuple, la classe moyenne, celle qui veut avant tout la stabilité ». D’où l’éventualité la plus probable : la réélection de Abdelaziz Bouteflika sur fond de tension persistante. Une éventualité d’autant plus plausible que les autres candidats à la présidentielle n’ont que très peu de poids, notamment après que les principaux adversaires politiques de M. Bouteflika ont déclaré forfait. Deux autres facteurs jouent en faveur du président algérien. D’abord, le fait que les Algériens gardent toujours en mémoire la décennie noire et craignent un retour au chaos. Ensuite, et surtout, le soutien sans faille de l’armée à M. Bouteflika.
Reste à dire que « le maintien de ce dernier à la tête de l’Etat n’est pas le maintien de sa personne, mais plutôt celui des cercles du pouvoir ancrés depuis des années », estime Dr Solimane. « Ceux qui dirigent véritablement le pays actuellement sont Saïd Bouteflika, le frère du président et son conseiller, ainsi qu’Ahmed Gaïd Saleh, le chef d’état-major », conclut-elle.
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