Comme prévu, le principal syndicat de Tunisie, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT), a appelé samedi 19 janvier, jour de grève en Tunisie, à une nouvelle grève générale les 20 et 21 février dans le secteur public. Ce sera la troisième grève depuis novembre 2018 en Tunisie, où les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques représentent près d’un quart de la population active. « L’appel à une nouvelle grève est le résultat du blocage des négociations avec le gouvernement », a déclaré le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Taboubi, après une réunion des dirigeants du syndicat.
Raison de l’appel à une nouvelle mobilisation : Les négociations salariales dans la fonction publique ont achoppé à la dernière minute. Gouvernement et UGTT sont tombés d’accord sur les montants des augmentations, entre 136 et 180 dinars, selon les catégories, échelonnés sur deux ans, mais ils n’ont pas réussi à s’entendre sur la date d’effet. Le gouvernement a proposé décembre 2018 pour la première tranche représentant 40 % du montant et janvier 2020 pour la deuxième tranche. Proposition rejetée par la centrale syndicale qui tient au mois d’octobre 2018 et mai 2019. Même le cas des retraités de la fonction publique a été résolu puisqu’ils seront concernés par les augmentations.
La grève du samedi 19 janvier a été suivie à plus de 90% selon l’UGTT. C’est aussi la première à rassembler la fonction publique et les entreprises publiques. Une participation importante haute en symbole car elle signale la colère des Tunisiens. Une colère qui ne risque pas de baisser, selon certains analystes, qui estiment que cette mobilisation se poursuivra jusqu’à la réalisation des demandes revendiquées par l’UGTT.
Les jours à venir verront, selon Mohamed Trabelsi, ministre des Affaires sociales, la reprise des négociations. Le gouvernement va présenter de nouvelles propositions. Un accord devrait être trouvé et la poire serait coupée en deux. Il n’est pas exclu que la date d’effet soit modifiée pour la deuxième tranche notamment: octobre 2018 au lieu de mai 2018 comme proposé par l’UGTT et de janvier 2020 pour le gouvernement. Les deux parties savent très bien que le pays ne tolère plus une deuxième paralysie totale, cette fois-ci de deux jours, comme annoncé par la centrale syndicale. Mais, le premier ministre, Youssef Al-Chahed, a assuré que les finances publiques ne permettaient pas d’accepter les demandes de l’UGTT. Le premier ministre tunisien tente toutefois de contenir la crise : son gouvernement a affirmé la reprise des négociations avec l’UGTT pour arriver à des compromis. Le syndicat reproche notamment au gouvernement de céder aux directives du Fonds Monétaire International (FMI) qui a accordé en 2016 un prêt de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans à Tunis, en échange de vastes réformes, et de diminuer le poids de la fonction publique dans le Produit Intérieur Brut (PIB).
Malgré les tentatives entreprises par les gouvernements successifs (ils ont notamment massivement recruté après la révolution de 2011 pour atténuer la colère sociale), la Tunisie peine toujours à répondre aux attentes sociales et à faire baisser un chômage de 15 % et la dépréciation du dinar s’est traduite par une importante inflation. Avec ces difficultés économiques persistantes, la crise n’est pas près de prendre fin. Autre raison, le poids de l’UGTT. « L’UGTT est très puissant et très influent en Tunisie. Donc, les appels qu’il lance sont généralement toujours suivis », explique Mona Soliman, professeure à la faculté d’économie et de sciences politiques de l’Université du Caire. Selon la chercheuse, « pour calmer la situation, le gouvernement doit céder sur certains points au moins. Il doit répondre aux principales revendications de l’UGTT car l’union aura un rôle important lors des prochaines élections générales attendues avant septembre prochain. Or, l’enjeu de ces élections est très important ».
Débat politique
La mobilisation de l’UGTT intervient alors que le débat politique est en effervescence ces derniers mois à l’approche des élections législatives et présidentielle prévues avant l’automne de 2019, dans lesquelles l’UGTT souhaite peser. Déjà, il s’agit d’un conflit entre deux puissances dans le pays, le fils du président qui dirige le parti au pouvoir et son beau-frère, le premier ministre Youssef Al-Chahed. « Les deux ont l’intention de se présenter à la prochaine présidentielle. Ce qui peut entraîner un bras de fer, voire une impasse politique. D’ores et déjà, le parti islamiste Ennahda va soutenir le premier ministre », explique Dr Mona Soliman. Par ailleurs, Al-Chahed, qui a quitté le parti au pouvoir, intensifie les contacts pour former un nouveau parti et participer aux élections.
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