Rattraper le retard et les rendez-vous manqués de 2018. Tel est l’objectif principal de la communauté internationale, qui espère tenir des élections présidentielle et législatives en Libye avant la mi-2019 (celles-ci étaient initialement prévues en décembre 2018 en vertu de l’Accord de Paris de mai 2018, mais leur tenue s’est avérée impossible). L’envoyé spécial de l’Onu pour la Libye, Ghassan Salamé, a présenté, fin décembre, la nouvelle feuille de route (complémentaire à celle de 2017) pour y parvenir. Elle prévoit une conférence nationale de consensus en Libye en début d’année, pour définir les modalités précises de ce scrutin ouvrant un processus électoral dès le printemps. Le référendum sur une nouvelle Constitution pourra se tenir en février 2019 si les conditions de sécurité sont réunies.
Si et seulement si. Nous revoilà donc dans l’hypothèse, tout comme ce qui s’est passé l’année qui vient de s’écouler. Et la liste des conditions nécessaires pour respecter ce calendrier est longue. Avec, comme premier obstacle, probablement le moindre d’ailleurs, le financement. D’ores et déjà, le président de la Haute commission nationale électorale a précisé que le compte de la Commission était dans le rouge, alors qu’elle avait besoin de 40 millions de dinars (environ 30 millions de dollars) pour mener à bien l’opération électorale.
Mais au-delà de la question du financement, la liste des obstacles est longue. « Déjà, il y a confusion sur le processus lui-même. Comment démarrer ? Par le référendum sur la Constitution ou par les législatives, ou encore par la formation du comité chargé de rédiger la nouvelle Constitution ? », s’interroge le politologue Ziyad Aql, spécialiste de la Libye au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Qui plus est, selon ce dernier, cette confusion, on la trouve aussi bien au sein de la classe politique libyenne que chez la communauté internationale. « Mais ce sont les Libyens qui doivent trouver un compromis sur une feuille de route qui les satisfasse. La communauté internationale a compris que la solution devait émaner des Libyens eux-mêmes », explique Dr Ziyad Aql.
Le plus dur reste tout de même à faire. L’envoyé spécial de l’Onu l’a reconnu : les élections doivent se tenir le plus rapidement possible, mais que les conditions pour ce faire doivent toutefois être mises en place. Il a notamment parlé de la nécessité de procéder à un nouveau cycle d’inscription d’électeurs et d’assurer l’engagement des parties à accepter le résultat du scrutin, sans oublier les besoins en matière de financement et de sécurité. De plus, la Chambre des représentants doit adopter une législation électorale jugée acceptable par la majorité des Libyens.
Pour ce qui est de la Constitution, le flou persiste aussi. Le premier ministre du GNA (Gouvernement provisoire reconnu par la communauté internationale), Fayez Al-Sarraj a cité trois possibilités : ou un référendum sur le texte adopté le 29 juillet 2017, ou une révision de la déclaration constitutionnelle de 2011, ou alors l’extraction du projet constitutionnel des parties qui concernent l’élection et les compétences du président et de leur application immédiate en attendant l’adoption du référendum à plus long terme. « Il faut trouver quelle est la solution qui recueille le plus de consensus », s’est contenté d’affirmer l’émissaire de l’Onu en rappelant que depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, trois textes constitutionnels ont été rédigés.
Objectif principal : Un pouvoir légitime et unifié
Premier obstacle à surmonter donc — et pas des moindres —, trouver un terrain d’entente entre les différentes parties libyennes. C’est dans ce contexte que s’inscrit la mission de Ghassan Salamé, qui s’attelle toujours à résorber la rivalité entre l’ouest et l’est libyens, notamment en tentant, pour commencer, de réunifier leurs institutions militaires respectives. Mais il a fait savoir que les opinions divergeaient de manière notable en ce qui concerne l’actuel projet de Constitution, certains souhaitant procéder directement au référendum, tandis que d’autres réclament des amendements, le retour à une Constitution préalable, ou des garanties. Soulignant que l’adoption d’une Constitution est un moment capital dans la vie d’une nation, il a indiqué que la Mission d’appui des Nations-Unies en Libye (MANUL) compte élaborer, en consultation avec les parties libyennes, un calendrier pour la tenue d’un référendum ou d’élections nationales, précisant qu’il en présenterait les contours lors de sa prochaine intervention devant le Conseil de sécurité.
Refonder la légitimité d’un pouvoir réunifié, tel est donc la condition sine qua non avant tout règlement final. Selon le spécialiste, le plan onusien ambitionne un règlement avant juin 2019. « Mais un accord sécuritaire et militaire doit être un préalable au règlement politique », juge Aql, qui estime également que l’avancée faite sur le terrain par le maréchal Khalifa Haftar, homme fort de l’ouest, doublée de l’affaiblissement des autres factions armées, prédit qu’il aura une certaine mainmise et qu’il dominera la scène politique dans l’avenir. « C’est un fait accompli que la communauté internationale et les Libyens devront accepter », dit-il, en ajoutant que le retour de Seif Al-Islam Kadhafi sur la scène politique aura beaucoup d’influence sur le renforcement de la position de Haftar.
Le retour de Seif Al-Islam Kadhafi, c’est une autre inconnue en 2019. Il sera bien candidat à la présidentielle libyenne, puisqu’il « sera inscrit sur les listes dès que celles-ci seront ouvertes. Le peuple libyen a le droit de choisir », a récemment confirmé son avocat Khaled Al-Ghouwail, dans une conférence en Russie. Le fils de l’ex-guide de la Jamahiriya a vite fait de relever auprès de la Russie, de plus en plus politiquement présente dans la région, son adhésion sans restriction à la feuille de route de l’Onu pilotée par Ghassan Salamé. « Seif Al-Islam Kadhafi est soutenu par une bonne partie de la classe politique, surtout avec le chaos qui règne le pays et l’absence des dirigeants politiques influents, forts et puissants. Mais il y a aussi le camp qui refuse l’image de son père ainsi que la communauté internationale. Ceux-là vont soutenir Haftar pour ne pas donner la chance au retour du fils de Kadhafi », explique Dr Ziyad Aql.
S’il est difficile de trouver un candidat de consensus, il est tout aussi compliqué de remplir les autres conditions d’une stabilisation. Selon Ziyad Aql, il faut avant tout assurer, par exemple, la sécurisation des frontières, la démilitarisation des milices, etc. Dans un pays où pullulent les groupes armés, financés par les uns et les autres (plus de 250 000 hommes armés), le processus politique risque d’être contesté par les armes. Pour éviter tout recours à la violence ou toute contestation, il est important que les forces politiques s’entendent sur le respect des résultats des élections, ce qui n’est pas garanti. Et l’expert de conclure : « 2019 sera l’année de la transition, pas celle du règlement. Il ne faut pas placer la barre trop haut, comme ce qui s’est passé en 2018, où beaucoup d’espoirs n’ont pas pu être réalisés ».
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