Al-ahram hebdo : Il y a déjà eu de nombreuses initiatives pour la Libye, et la crise n’en est pas pour autant finie. Quelle est la différence entre la conférence de Palerme des 12 et 13 novembre et celles qui l’ont précédée ?
Dr Ziyad Aql : Pour qu’une quelconque initiative aboutisse, il faut d’abord que toutes les parties internes et externes se mettent sur la table de négociations. Et je dis bien « toutes ». Car si les participants réussissent à trouver une issue, il y aura toujours un camp absent qui risque de la refuser, ce qui fait que l’accord trouvé ne sert à rien.
Mais ce n’est pas suffisant, il faut aussi et surtout que les décisions prises soient susceptibles d’être appliquées. Lors du sommet de Paris en mai dernier, le maréchal Haftar, homme fort de l’est du pays et dirigeant de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), a été invité autour de la même table avec le chef du Gouvernement d’union nationale (GNA) internationalement reconnu, Fayez Al-Sarraj, le président du parlement, Aguila Salah, et celui du Conseil d’Etat, équivalent d’une chambre haute à Tripoli, Khaled Al- Mechri.
Mais cette réunion n’a pas permis l’application de l’accord de Paris qui stipule la tenue d’élections le 10 décembre. Rome a donc aussi invité des dignitaires et représentants tribaux et de la société civile. Cependant, cette fois-ci aussi, la conférence de Palerme est minée par les tensions entre factions libyennes, mais aussi par les divisions entre les différents pays qui s’intéressent de près à la Libye.
— Concrètement parlant, la crise peut-elle être réglée prochainement ?
— La crise libyenne peut s’aggraver et demeurer sans issue encore longtemps. Les communautés internationale et arabe doivent s’entendre sur une solution efficace et une feuille de route bien planifiée pour mettre fin à ce chaos. Une fois trouvées, elles doivent être imposées à tous les camps libyens en conflit pour pouvoir être appliquées.
— Le tableau paraît donc sombre ...
— Comme vous savez, le pays est dirigé par deux entités rivales. Il y a d’un côté le GNA, reconnu par la communauté internationale, car il est issu d’un processus onusien basé à Tripoli et soutenu par l’Italie, les Etats-Unis et l’Algérie. De l’autre, il y a l’autorité installée dans l’est soutenue par un Parlement élu en 2014 et une force armée dirigée par le maréchal Haftar, ce dernier est soutenu par la France, la Russie et aussi par les Emirats arabes unis et l’Egypte. Mais ce n’est pas tout. A ces deux camps s’ajoutent des factions et des tribus qui aspirent au pouvoir. Et bien sûr, chacun de ces camps a ses propres ambitions et ses propres intérêts. Donc, il faut nécessairement un compromis, que ce soit entre les camps internes ou entre les parties tierces. Sarraj luimême a souhaité, avant le début de la conférence, qu’elle ait débouché sur une vision commune, surtout unifier les positions de Paris et Rome.
— Justement, pourquoi Rome et Paris s’opposent-ils ?
— L’Italie est surtout préoccupée par le problème migratoire, parce qu’elle est un principal port d’accueil et que le chaos en Libye, terre de passage où les passeurs sont très actifs, facilite les traversées de la Méditerranée. Elle soutient Sarraj car il a approuvé la présence de navires italiens sur les côtes libyennes tandis que le maréchal Haftar refuse complètement cette idée. Quant à Paris, elle focalise sur l’organisation d’élections générales le plus vite possible. Un pari difficile. D’ailleurs, convaincu qu’il est impossible de respecter l’échéance décidée lors de la réunion de Paris en mai dernier, l’envoyé spécial des Nations-Unies, Ghassan Salamé, a appelé à la tenue d’une conférence nationale début 2019, enterrant de facto la perspective d’élections avant la fin de l’année. Il espère que, d’ici cette date, la situation sur terre changera et un camp deviendra plus fort et plus influent que l’autre pour peser sur le processus de négociations. Déjà, Haftar essaie de s’entendre avec différents factions et tribus, et il les a appelés à plusieurs reprises à s’intégrer à l’ANL. Il s’est récemment rendu à Rome et à Alger pour trouver des compromis pour résoudre les divergences avec ces pays. Mais il avance d’un pas lent sur les deux niveaux.
— Respecter l’échéance électorale est donc impossible ...
— Avec la situation sécuritaire actuelle, on ne peut ni garantir, ni sécuriser le processus électoral. Selon les chiffres officiels, il existe en Libye plus d’un million d’armes entre les mains de différentes milices. De même, les djihadistes de Daech sont toujours présents et possèdent une force considérable. Comment tenir des élections dans ces conditions ? Et si la tenue du scrutin est elle-même problématique, il faut aussi garantir que cette élection serve véritablement à quelque chose et que ses résultats soient acceptés. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Avant tout processus électoral, il est nécessaire qu’il y ait en Libye une armée puissante et influente, et que toutes les milices soient désarmées. Il faut aussi que tous les camps y soient représentés. Bref, les conditions nécessaires à la tenue d’élections ne sont pas réunies. C’est pour cela que l’Onu a annoncé que le processus électoral devra finalement démarrer au printemps 2019. En espérant que cette nouvelle échéance pourra être respectée .
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