Près de la moitié des habitants d'Idleb ont déjà été déplacés. (Photo : Reuters)
Comme prévu, les djihadistes ont décidé de rester à Idleb. Ils comptent ainsi poursuivre le combat et lutter contre les forces du régime. Ces djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham (HTS), principale alliance djihadiste à Idleb et issue de l’ex-branche syrienne d’Al-Qaëda, devaient évacuer avant lundi 15 octobre. Une décision qui fragilise ainsi l’accord russo-turc sur Idleb. Ce dernier était destiné à éviter un assaut meurtrier du régime Assad contre le dernier bastion insurgé en Syrie. Mais avec le refus des djihadistes de Hayat Tahrir Al-Cham de partir, l’accord risque de tomber à l’eau.
Majoritaires dans cette province du nord-ouest du pays, les djihadistes occupaient toujours une zone, devant être démilitarisée, après la date limite de dimanche 14 octobre prévue pour leur départ, selon l’accord négocié en ce sens entre la Russie, une alliée du président syrien Bachar Al-Assad, et la Turquie, qui soutient les rebelles par ce plan russo-turc. D’ailleurs, les djihadistes avaient clairement annoncé leurs intentions, quelques heures avant la limite prévue pour leur retrait : « Nous n’abandonnerons pas le choix du djihad et du combat pour réaliser les objectifs de notre révolution bénie, en premier lieu faire tomber le régime criminel. Nous n’abandonnerons pas nos armes », a déclaré dans un communiqué le HTS. Mais ce dernier ne dit toutefois pas clairement s’il rejette l’accord russo-turc conclu le 17 septembre à Sotchi. « Mais nous mettons en garde contre la duplicité de l’occupant russe et contre toute confiance dans ses intentions », ajoutent les djihadistes, qui, avec d’autres groupes, contrôlent plus des deux tiers de la censément future zone tampon et 60 % de la province.
En effet, les autres groupes ont appliqué l’accord russo-turc qui prévoit une zone démilitarisée pour séparer les territoires du régime Assad de ceux encore tenus par les rebelles et djihadistes, évitant ainsi un assaut et une possible catastrophe humanitaire à Idleb. Le Front national de libération, principal groupe rebelle, l’a officiellement endossé et a affirmé avoir totalement retiré ses armes lourdes mercredi 10 octobre, selon la date butoir établie.
« Puisqu’il est issu du Front Al-Nosra, l’ex-branche syrienne d’Al-Qaëda, le HTS est considéré comme un groupe terroriste par le régime syrien, alors il sait qu’il sera jugé sévèrement pour crime de guerre. Dans tous les cas, ils sont perdants. Ainsi, au lieu de céder, ils lutteront et combattront pour deux raisons : tout d’abord, ils veulent causer le plus de pertes possible au régime. Deuxième raison, ils considèrent devenir des héros en ne déposant pas les armes et en luttant jusqu’au bout », explique Dr Mona Solimane, professeure à la faculté d’économie et de sciences politiques de l’Université du Caire.
Mesure temporaire
Or, le risque est gros. Avant même l’expiration du délai, l’armée syrienne a appelé, le 12 octobre, les habitants d’Idleb à rester éloignés des djihadistes. Déjà, le président syrien Bachar Al-Assad a qualifié de mesure temporaire l’accord russo-turc. « L’accord est une mesure temporaire grâce à laquelle le régime a marqué des points sur le terrain, à commencer par la fin du bain de sang. Cette province et d’autres territoires qui sont encore sous le contrôle de terroristes reviendront à l’Etat syrien », a déclaré le président Assad lors d’une réunion du Comité central de son parti Baas, cité par l’agence de presse d’Etat SANA dimanche.
En effet, Assad a maintes fois fait part de sa volonté de reconquérir l’ensemble de la Syrie. Samedi 13 octobre au soir, plusieurs tirs de mortier venant de la zone tampon ont visé une position militaire à Jourine, dans le nord de la province voisine de Hama. L’ONG n’a pas été en mesure de préciser si les tirs avaient été effectués par des rebelles ou par des djihadistes. « Il s’agit de la première violation claire de l’accord depuis le retrait des armes lourdes. Cette zone est censée être débarrassée des obus de mortier », a déclaré Rami Abdel-Rahmane, directeur de l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (l’OSDH). Selon ce dernier, le régime a aussi bombardé par intermittence ces derniers jours la zone tampon, mais l’accord russo-turc ne mentionne pas le retrait des armes lourdes des forces gouvernementales, stationnées dans certains secteurs de provinces voisines.
L’accord Ankara-Moscou n’est que le dernier en date d’une série d’accords de trêve conclus au cours des sept années de guerre en Syrie, qui ont fait plus de 360 000 morts et des millions de déplacés et réfugiés. Près de la moitié des trois millions d’habitants de la province d’Idleb ont déjà été déplacés d’anciens fiefs rebelles et beaucoup dépendent de l’aide humanitaire. Les ONG CARE International, International Rescue Committee (IRC), Mercy Corps et Save the Children, opérant à Idleb, ont averti qu’une non application de l’accord pourrait provoquer de nouvelles violences et un exode massif.
« Les partenaires locaux de ces ONG et les civils recevant de l’aide ont dit craindre une résurgence d’une spirale de violences dans les prochains jours si l’accord échouait. Même une offensive militaire limitée pourrait déplacer des centaines de milliers de personnes », ont-elles écrit dans un communiqué. « Si l’accord échoue et les opérations militaires sont lancées, des centaines de milliers de personnes vont souffrir pour obtenir l’aide dont elles ont tellement besoin », a mis en garde Lorraine Bramwell, chef de l’IRC-Syrie.
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