Après une paralysie politique de plus de quatre mois et sur fond de crise politique sociale et sanitaire, les députés du parlement iraqien élus en mai dernier ont porté, samedi 15 septembre, à la présidence de la chambre le sunnite Mohammed Al-Halboussi, soutenu par le bloc pro-Iran, un collectif d’anciennes milices populaires qui ont combattu le groupe Daech, et qui sont considérées proches du régime iranien, à sa tête l’Alliance de la conquête de Hadi Al-Ameri. Les députés ont choisi comme premier adjoint Hassan Karim, ancien maire d’arrondissement de Sadr City, bastion du nationaliste chiite Moqtada Sadr à Bagdad. Des choix qui surviennent neuf mois après l’annonce de la «
victoire » sur le groupe djihadiste Daech et qui constituent le premier pas vers la formation d’un nouveau gouvernement qui ne sera pas loin des choix iraniens. «
L’émissaire iranien Qassem Soleimani a réussi à unifier les forces chiites et à obtenir des postes aux sunnites qui l’ont suivi », a affirmé à l’
AFP le politologue iraqien Hicham Al-Hachémi.
Pour la première fois depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, les chiites s’étaient présentés divisés au scrutin législatif de mai. Par contre, l’émissaire américain Brett McGurk n’a pas réussi à accomplir sa mission en Iraq. Selon Al-Hachémi, l’émissaire américain a échoué à diviser les chiites, n’est pas parvenu à tenir ses promesses de postes aux sunnites qui s’étaient ralliés aux Etats-Unis et n’a pas été en mesure de faire peur aux sunnites qui ont choisi le camp iranien. « L’Iran a déjà marqué deux points, tandis que les Etats-Unis en ont perdu trois », résume le politologue iraqien.
Al-Halboussi — élu à 37 ans plus jeune président du Parlement en Iraq — a obtenu 169 voix sur 298 votes exprimés, il était jusqu’à son élection au Parlement, le 12 mai, sur une liste sunnite locale, le gouverneur de la province d’Anbar, dans l’Ouest désertique. Devant les 298 députés — sur 329 — présents lors du vote, il a plaidé pour « de réelles réformes », évoquant notamment Bassora, théâtre la semaine dernière de manifestations meurtrières réclamant des services publics et la fin de la corruption.
Par contre, l’ex-ministre de la Défense, Khaled Al-Obeïdi, candidat du premier ministre sortant Haider Al-Abadi, n’en a récolté que 89 voix, indice négatif pour Abadi qui était un temps pressenti pour conserver son poste après son alliance avec Moqtada Sadr, vainqueur des législatives sur un programme anti-corruption commun avec les communistes. Mais son grand allié l’a lâché le 8 septembre à l’issue de quatre jours de manifestations meurtrières, avec 12 morts, à Bassora, ville pétrolière du sud en proie à une crise sanitaire sans précédent. Et Abadi a jeté l’éponge cette semaine. Ce sont désormais ses deux rivaux, arrivés devant lui aux législatives, qui désigneront son successeur après s’être dit « sur la même longueur d’onde » pour former le futur gouvernement.
Quel futur premier ministre ?
Dans le système iraqien d’élection à la proportionnelle, calibré pour éviter tout retour à la dictature après Saddam Hussein, les listes de députés doivent se regrouper en coalitions. Le bloc qui compte le plus de députés désigne le premier ministre, qui exerce véritablement le pouvoir exécutif. Ce choix semble donc aujourd’hui entre les mains de Ameri et Sadr, qui ont rallié autour d’eux des forces sunnites et kurdes. Car dans un système qui réserve traditionnellement le poste de président du Parlement à un sunnite, de président de la République à un Kurde et de premier ministre à un chiite, les tractations portent sur un accord englobant les trois postes. Par ailleurs, le futur président de la République sera élu par le Parlement dans les trente jours qui suivent. C’est lui qui chargera officiellement la plus large coalition de former le gouvernement.
En 2014, alors que Daech venait de s’emparer de près d’un tiers de l’Iraq face à des forces armées en pleine débandade, M. Abadi, peu connu du grand public, avait été choisi comme le candidat du consensus, à même de satisfaire l’Iran et les Etats-Unis, les deux puissances agissantes en Iraq, actuellement à couteaux tirés. Pour certains experts, un tel scénario pourrait se reproduire cette année, alors que le chef spirituel de la majorité des chiites d’Iraq, le grand ayatollah Ali Sistani, a déjà dit refuser un politicien ayant été au pouvoir par le passé.
Moqtada Sadr, lui, pousse pour un premier ministre « indépendant » et un gouvernement de « technocrates », tandis que M. Ameri, lui-même chef d’un puissant groupe armé soutenu par l’Iran et dénoncé par Washington, a déjà annoncé qu’il ne serait pas candidat au poste de chef du gouvernement.
Donc, avec ses circonstances et dans un pays comme l’Iraq et où les alliances contrôlent le jeu politique, les estimations ne sont pas facilement attendues, il existe toujours des surprises. « Des tractations peuvent avoir lieu jusqu’au dernier moment. Le premier ministre sera peut-être un inconnu, un nouveau venu en politique », estime le politologue iraqien Ahmed Rushdi, dans un article publié 15 septembre à RFI. Il explique que quel qu’il soit, le premier ministre aura tellement de problèmes à gérer qu’il devra former un gouvernement souple, plus flexible, qui sache comment fonctionne la communauté internationale. « Nous sommes en difficulté dans deux secteurs en particulier : l’économie et la sécurité. Si la communauté internationale, les Etats-Unis et l’Europe ne nous suivent pas sur ces dossiers, s’ils n’accompagnent pas les futures autorités, nous aurons beaucoup de mal à résoudre les problèmes de l’Iraq », conclut le politologue.
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