C’est à Bassora
, la deuxième ville d’Iraq, qu’a commencé, il y a une dizaine de jours, un mouvement de contestation sociale, avec des manifestations quasi quotidiennes contre les difficultés de la vie quotidienne. Depuis, le mouvement a pris de l’ampleur et a gagné d’autres villes iraqiennes. Les protestations, contre le chômage et la vétusté des services publics, principalement l’électricité, ont fait jusqu’à présent cinq morts et des dizaines de blessés. Alors que la vague de manifestations est entrée dans sa deuxième semaine (les premières ont eu lieu le dimanche 8 juillet à Bassora), le premier ministre, Haïder Al-Abadi, a durci le ton : il a dénoncé dimanche 15 juillet les actes violents autour des manifestations, notamment contre les biens publics et les forces de l’ordre, deux jours après s’être rendu à Bassora pour tenter de calmer les esprits. «
Les Iraqiens n’acceptent ni le chaos, ni les attaques contre les forces de sécurité et les bâtiments publics et privés. Ceux qui font ça sont des vandales qui instrumentalisent les demandes des citoyens pour faire le mal », a-t-il affirmé à l’issue d’une réunion à Bagdad avec des responsables de la sécurité et du renseignement.
Exacerbé par la mort d’un homme dans la province de Bassora au premier jour des manifestations, le 8 juillet, ce mouvement, qui dénonce notamment l’état délabré des services publics, l’incurie des dirigeants et le chômage, a fait tache d’huile et s’est étendu à d’autres provinces du sud, dont Najaf, Missane, Kerbala, Zi Qar et Mouthanna. Samedi 14 juillet, des appels à une grande manifestation dans la capitale Bagdad avaient émergé, mais le mot d’ordre a peiné à circuler, Internet étant coupé. Des centaines de personnes ont toutefois fermé une voie rapide à l’entrée du quartier d’Al-Choula, en scandant: « L’Iran, dehors ! Bagdad est libre ! » ou « Le peuple veut la chute du régime ». Le même jour, des manifestants ont tenté de mettre le feu au siège de la puissante organisation Badr — soutenue et armée par l’Iran— dans la ville de Bassora, provoquant des heurts avec les forces de sécurité.
Par ailleurs, le service de presse du gouvernement à Bagdad a par ailleurs indiqué dans un communiqué que « le premier ministre avait ordonné la réouverture de l’aéroport de Najaf ». Le bâtiment a été fermé après son envahissement, vendredi 13 juillet, par des dizaines de manifestants et des compagnies aériennes, dont la Royal jordanian, Fly Dubai et Oman Air, ont annoncé la suspension « jusqu’à nouvel ordre » de leurs vols à destination de cette ville sainte chiite située au sud de Bagdad.
Tentatives de contenir la crise
Depuis le début de la contestation en effet, la tension n’a pas baissé malgré les tentatives du premier ministre iraqien de contenir la crise. En premier lieu, il a annoncé une allocation immédiate d’environ 3 milliards de dollars pour la province de Bassora, outre des promesses d’investissement dans l’habitat, les écoles et les services. Il a également donné l’ordre de consacrer des fonds pour financer le dessalement de l’eau dans la province, l’amélioration du réseau électrique et des services de santé. Le premier ministre a en outre ordonné que soit dissous le conseil d’administration de l’aéroport de Najaf et que les gardes de sécurité du ministère du Pétrole à Bassora bénéficient de contrats de longue durée et d’une sécurité sociale.
Bassora, où a commencé le mouvement de contestation, c’est la plus grande ville du sud de l’Iraq, minée par la corruption et des années de violences, chef-lieu de la province du même nom, riche en pétrole. Et pourtant, alors que les ressources pétrolières de l’Iraq représentent 89% de son budget et 99% de ses exportations, elles ne fournissent que 1 % des emplois aux travailleurs locaux, les compagnies pétrolières étrangères employant essentiellement des étrangers. Selon un membre du conseil provincial cité par l’AFP, Karim Chouak, les manifestants sont des jeunes qui réclament des « solutions aux problèmes du chômage aggravés par l’inaction du gouvernement fédéral ».
Mais au-delà des revendications socio-économiques, les risques d’embrasement sont réels. Conscient de cela, Haïder Al-Abadi a appelé dimanche 15 juillet les services de sécurité « à se tenir en alerte car le terrorisme veut exploiter tout événement ou conflit », tout en leur ordonnant « de ne pas faire usage de balles réelles sur des manifestants non armés ». « Profiter des manifestations pour brûler des bâtiments publics, couper des routes, enflammer des pneus et attaquer les forces de sécurité est une tentative de faire reculer le pays », a plaidé le chef du gouvernement iraqien, pour qui « des éléments du crime organisé » se tenaient « prêts à susciter le chaos ».
Une fronde sociale classique donc, mais qui peut toujours dégénérer. En effet, la plus haute autorité chiite d’Iraq a annoncé, vendredi 13 juillet, son soutien aux manifestants, tout en les appelant à éviter les désordres. Elle a aussi exhorté le pouvoir à trouver des solutions. « Il n’est ni juste ni acceptable que cette province riche soit l’une des plus misérables d’Iraq. Nombre de ses habitants souffrent du manque de services publics », a déclaré cheikh Abdel-Mahdi Al-Kerbalaï, représentant de l’ayatollah Ali Sistani, lors de son prêche à Kerbala. « Des responsables dans les gouvernements central et local doivent s’occuper sérieusement des demandes des citoyens et travailler pour accomplir ce qui doit être fait d’urgence », a ajouté cheikh Kerbalaï.
En 2015, en effet, un mouvement de protestation animé principalement par le dirigeant chiite Moqtada Al-Sadr avait été lancé en Iraq avec des manifestations hebdomadaires contre la corruption et la vétusté des services publics, avant de perdre de l’ampleur. Les choses sont aujourd’hui différentes. Moqtada Al-Sadr— qui a apporté son soutien aux protestataires—, est arrivé en tête des élections législatives du 12 mai dernier avec son alliance inédite avec les communistes. Mais l’Iraq n’a toujours pas de parlement car les résultats de ce scrutin n’ont pas été validés et un décompte partiel dans les circonscriptions contestées est toujours en cours. Deux mois après les élections, le nouveau gouvernement se fait attendre et le poste de premier ministre fait l’objet de nombreux débats. Jeudi 12 juillet, Moqtada Al-Sadr a appelé le premier ministre actuel, Haïder Al-Abadi, à quitter son parti, le parti Al-Daawa, pour pouvoir rester à la tête du gouvernement. « L’Iraq fait face à de nombreux défis en cette phase délicate. Il a besoin d’un premier ministre qui jouit d’une indépendance et d’une autorité », a déclaré Diaa Al-Asadi, chef du bureau politique d’Al-Sadr. Selon lui, la démission de Haïder Al-Abadi de la tête du parti Al-Daawa est une demande de la majorité des blocs politiques.
Le mouvement de contestation met donc la pression sur les hommes politiques à un moment où le pays est loin d’avoir entièrement retrouvé sa stabilité. Et le futur gouvernement aura une triple mission: s’atteler à la reconstruction des régions libérées des mains de Daech pour éviter qu’il ne se réimplante et pour permettre aux deux millions de déplacés iraqiens de rentrer chez eux, répondre aux revendications socio-économiques de la population, notamment en luttant contre la corruption, et créer une cohésion politique loin du sectarisme et du confessionnalisme. Une mission pour le moins qu’on puisse dire difficile.
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