Frapper, puis lancer des initiatives pour le dialogue. Telle est la logique des Occidentaux aujourd’hui en Syrie. En effet, après les frappes menées conjointement par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 avril, contre des sites militaires du régime de Bachar Al-Assad, à la suite d’une attaque chimique présumée le 7 avril à Douma, les trois pays en question disent vouloir désormais «
travailler sur un règlement politique de la crise syrienne ». C’est en tout cas ce qu’inclut le nouveau projet de résolution sur la Syrie, présenté par Washington, Paris et Londres et débattu depuis lundi 16 avril au Conseil de sécurité de l’Onu. Selon l’ambassadeur français à l’Onu, François Delattre, le texte vise aussi à «
relancer une action collective pour le Conseil de sécurité sur le dossier chimique », soit créer un nouveau mécanisme d’enquête sur l’emploi d’armes chimiques en Syrie, le mécanisme précédent ayant expiré en novembre dernier suite à plusieurs veto russes.
Mais la question dépasse de loin la problématique des armes chimiques, de leur usage ou non, et des difficultés auxquelles font face les enquêteurs de l’Organisation Internationale pour l’Interdiction des Armes Chimiques (OIAC), qui ont entamé leur enquête cette semaine (voir article page 3). En effet, au-delà du dilemme sur l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien, les frappes occidentales ont plusieurs portées.
« Ces frappes ont plusieurs objectifs. D’abord, les Français comme les Américains avaient établi une ligne rouge, celle de l’usage d’armes chimiques. Par principe, ils devaient agir après les présomptions à ce sujet. Ensuite, les trois pays ont des problèmes internes et ont voulu en détourner l’attention », explique Mona Salmane, chercheuse à la faculté de sciences politiques de l’Université du Caire. Mais il y a aussi des objectifs politiques et stratégiques, estime l’analyste.
Ces frappes marquent un retour en scène — même restreint — des Occidentaux en Syrie. Selon Mona Salmane, « il s’agit d’une frappe limitée mais précise, ayant visé avec exactitude des sites définis. Les Occidentaux ont tenu à ne pas frapper là où il y a présence russe, car si c’était le cas, cela aurait tout simplement conduit à un conflit direct entre la Russie et les Etats-Unis. Il faut donc d’abord retenir que Washington ne veut pas d’une réelle confrontation avec Moscou ». Preuve en est le fait qu’il a fallu plusieurs jours pour passer à l’action. Et malgré l’écho médiatique, la mission a en fait été limitée le plus possible, après une semaine de menaces et d’intenses tractations qui avaient fait naître des spéculations sur la possibilité de raids d’une tout autre envergure.
Quelle stratégie américaine ?
Mais que veut donc l’Administration américaine de Donald Trump? D’après certains experts, l’opération ne clarifie pas la stratégie américaine en Syrie. « La mission américaine n’a pas changé. Le président (Donald Trump) a dit clairement qu’il veut que les forces américaines rentrent dès que possible », a indiqué dans un communiqué la porte-parole de la Maison Blanche, Sarah Sanders. « Nous sommes déterminés à écraser complètement Daech et à créer les conditions qui empêcheront son retour. En outre, nous attendons de nos alliés régionaux et de nos partenaires qu’ils prennent plus de responsabilités, aussi bien militairement que financièrement, pour sécuriser la région », selon le communiqué.
Officiellement, la « stratégie » américaine a été détaillée en janvier dernier par Rex Tillerson, alors secrétaire d’Etat de Donald Trump. Elle inscrivait dans la durée la présence des GI’s en Syrie contre Daech, mais ajoutait deux autres objectifs collatéraux: contribuer à aboutir au départ de Bachar Al-Assad, et contrer l’influence de l’Iran. Le vide que créerait un retrait américain, prévenait-il en substance, jouerait le jeu du président syrien comme des visées expansionnistes de Téhéran. Les responsables de l’administration continuent de se référer à ce discours, mais le président Trump, qui a, depuis, limogé Rex Tillerson, a créé la surprise en appelant récemment de ses voeux à un départ rapide de Syrie, avant de finalement renoncer à fixer un calendrier de retrait sous la pression de ses conseillers et alliés...
« On est habitué aux changements de position du président américain, voire à des déclarations contradictoires au sein même de l’Administration américaine », explique Mona Salmane. Ce qui est sûr toutefois, ajoute-t-elle, « c’est que les Etats-Unis veulent un maintien ne serait-ce que d’une partie de leurs forces, une sorte de pied à terre. Il se peut même qu’il y ait d’autres frappes du genre, que ce soit à cause du chimique ou de n’importe quel autre prétexte. Et ce, pour qu’on recommence à parler du rôle occidental en Syrie, alors que ce sont la Russie et l’Iran, et à moindre degré la Turquie, qui sont les principaux acteurs en Syrie ».
Même sur le plan diplomatique en effet, le rôle occidental a nettement régressé. Au processus de Genève a pris place celui d’Astana, sans compter les sommets tripartites (Russie, Iran, Turquie) qui se tiennent régulièrement. « Pour les Occidentaux, le retour sur la scène diplomatique se fait donc à travers une action militaire. Ces frappes sont une carte de pression politique sur la Russie », affirme Mona Salmane. Avec un message précis adressé aux Russes: « Il faut que vous mettiez la pression sur Damas ».
Mais en même temps, l’Administration américaine se borne à dire qu’elle est déterminée à faire avancer le processus de paix de Genève, sous l’égide de l’Onu. Tout en reconnaissant qu’il est « totalement bloqué », selon les mots d’un haut responsable américain, qui en attribue la responsabilité au régime syrien, « qui refuse de participer aux discussions », et aux Russes, « qui n’ont pas voulu faire suffisamment pression » sur Damas.
La France plus engagée
Pendant ce temps et alors que Washington tergiverse, les autres parties jouent leurs cartes. « La Turquie est aujourd’hui un acteur majeur, étant à la fois membre de l’Otan et allié de Moscou. Et elle joue sur ce point en essayant d’être une sorte d’intermédiaire entre la Russie et les Occidentaux, tout en tentant de renforcer sa présence militaire au nord de la Syrie. La Russie et l’Iran, eux, continuent d’oeuvrer pour peser sur la question, tant militairement que politiquement », affirme la chercheuse.
Côté occidental, face aux hésitations américaines, c’est Paris qui entend reprendre l’initiative sur le front diplomatique. Dimanche 16 avril, dans un entretien télévisé, le président français, Emmanuel Macron, a affirmé que la France ne faisait pas la guerre à la Syrie et voulait parler à tous les acteurs de cette crise pour oeuvrer à la paix. Pour parvenir à « cette solution durable », « il nous faut parler avec l’Iran, la Russie et la Turquie », a dit le chef d’Etat français. Pour Paris, il est primordial de faire bouger les lignes de fractures diplomatiques entre Occidentaux, paralysés dans les négociations menées dans le cadre du Conseil de sécurité de l’Onu, où la Russie a un droit de veto, et les autres acteurs de la crise, dont ces trois pays qui patinent de leur côté dans un processus diplomatique parallèle, celui d’Astana.
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