Considérée comme la journée la plus meurtrière dans la bande de Gaza depuis la guerre de 2014, la Journée de la Terre, vendredi 30 mars, a vu 17 Palestiniens tués et plus de 1400 blessés, dont 758 par des tirs à balles réelles. Un lourd bilan pour des manifestations qui s’annonçaient pacifiques. Ce mouvement de manifestations et de marches tout au long de la frontière entre Gaza et l’Etat hébreu a été lancé à l’occasion de la Journée de la Terre, un hommage annuel rendu à 6 Arabes israéliens tués en 1976 lors de manifestations contre la confiscation de terres par Israël. Il doit durer six semaines, c’est-à-dire jusqu’à la commémoration de la Nakba (la création de l’Etat d’Israël) le 15 mai.
Les Palestiniens accusent les soldats israéliens d’avoir tiré sur des manifestants qui ne représentaient aucun danger immédiat. L’usage de balles réelles par l’armée israélienne est au coeur des interrogations de la communauté internationale et des organisations de défense des droits de l’homme.
Les violences ont commencé quand des dizaines de milliers de Palestiniens avaient afflué vers la barrière séparant Israël de la bande de Gaza, au premier jour de « la marche du retour ». Cette protestation vise à réclamer le droit au retour des Palestiniens qui, par centaines de milliers, ont été chassés de leurs terres ou ont fui lors de la guerre ayant suivi la création d’Israël en 1948.
Mais en réponse aux manifestants pacifiques, les forces israéliennes ont tiré des balles réelles. L’armée israélienne a ouvert le feu sur les manifestants qui s’étaient approchés à quelques centaines de mètres de la clôture ultra-sécurisée. Israël a défendu son armée qui, selon elle, a tiré contre ceux qui jetaient des pierres et des cocktails Molotov sur les soldats, ou tentaient d’endommager la clôture et de s’infiltrer en Israël. Acte refusé et dénoncé par les Israéliens eux-mêmes. Quelque 200 à 300 manifestants d’opposition de gauche se sont réunis à Tel-Aviv devant le siège du Likoud, le parti de Netanyahu, pour dénoncer la responsabilité du gouvernement dans le lourd bilan du vendredi 30 mars. « Le gouvernement fait tout pour présenter les Palestiniens comme les seuls coupables, alors qu’il a une part importante de responsabilité dans ce qui s’est passé » a affirmé à l’AFP Hagit Ofran, une responsable de la Paix Maintenant, ONG opposée à l’occupation des Territoires palestiniens.
Dans un communiqué, l’organisation a dénoncé la politique de la « gâchette facile » suivie par l’armée sous les ordres du gouvernement. Partageant le même avis, des organisations de défense des droits de l’homme se sont interrogées sur la réaction disproportionnée des forces de sécurité israéliennes. « Alors que certains manifestants palestiniens ont jeté des pierres et d’autres objets vers la barrière, il est difficile de croire qu’il s’agit d’une menace imminente pour la vie de soldats bien équipés et protégés par des tireurs d’élite, des tanks et des drones », affirme Amnesty dans un communiqué.
Impunité
Une fois de plus donc, Israël est pointé du doigt à cause de l’usage excessif de la force, critiqué par de nombreuses parties. Une fois de plus aussi, Israël ne risque rien. Fort du soutien américain, l’Etat hébreu, qui a accusé le Hamas d’être à l’origine des violences, a rejeté les appels internationaux à une enquête indépendante sur l’usage par Israël de balles réelles. Une enquête pourtant réclamée par le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, ainsi que la représentante de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
Dans le même temps, les Etats-Unis ont bloqué, samedi 31 mars, un projet de déclaration du Conseil de sécurité de l’Onu appelant toutes les parties à se retenir et à prévenir toute escalade supplémentaire et demandant une enquête sur les affrontements. De quoi conforter le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, qui a rejeté toutes les critiques. Pire encore, il a même félicité l’armée en la qualifiant de « l’armée la plus éthique du monde ».
Rien de nouveau dans la position américaine, ni dans la riposte israélienne à la marche du retour. En revanche, c’est l’ambiance générale qui diffère cette année. « Les manifestations pour le droit de retour sont différentes cette année par rapport aux années précédentes. Les Palestiniens insistent sur le fait de faire entendre leur voix et leurs revendications au monde entier. Ils insistent sur le fait d'attirer l’attention de la communauté internationale sur deux problèmes essentiels qu’ils affrontent tous seuls. D’abord, ils veulent achever le blocus imposé à la bande de gaza depuis dix ans par l’Etat hébreu. Car la situation sociale est explosive à Gaza. Ensuite et surtout, les Palestiniens veulent dire au monde entier qu’ils refusent les accords tacites entre les grandes puissances, et qu’ils rejettent d’avance le fameux marché du siècle », explique Dr Tarek Fahmy, spécialiste du dossier palestinien au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire.
L’expert explique que d’après les rumeurs et les informations jusque-là disponibles, ce « marché du siècle » vise à donner une terre alternative aux Palestiniens pour qu’ils cessent de réclamer leur terre historique et le droit de retour. « Selon les rumeurs, des référendums devraient être organisés ça et là pour que les Palestiniens du monde expriment leurs avis sur cette question. Mais les Palestiniens, eux, veulent autre chose: la reprise du processus de paix mais pas sous parrainage américain, la création d’un Etat aux frontières de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale, et le droit de retour aux réfugiés. Toutefois, selon certaines rumeurs, l’Autorité palestinienne, sous la pression internationale et tentant de trouver une issue à la question palestinienne, pourrait faire encore plus de concessions et serait prête à accepter l’idée de référendum », indique Fahmy. Et d'ajouter: « Sauf que dans la rue, l’avis est tout autre. Le peuple, lui, insiste sur le droit de retour comme condition préalable à l’instauration de la paix ».
Ce regain de tension intervient dans une période à risques, les Etats-Unis prévoyant d’inaugurer leur ambassade à Jérusalem, autour du 14 mai prochain. La reconnaissance par le président américain, Donald Trump, de Jérusalem comme capitale d’Israël a ulcéré les Palestiniens, qui y voient la négation de leur revendication sur la partie orientale de la Ville sainte, annexée et occupée par Israël. « Il y a une crainte que la situation ne puisse se détériorer dans les prochains jours », a mis en garde Taye-Brook Zerihoun, secrétaire général adjoint de l’Onu aux affaires politiques, appelant à la retenue maximale. « Le risque de l’escalade (de la violence) est réel », a estimé de son côté devant le Conseil de sécurité le représentant français, évoquant « la possibilité d’un nouveau conflit dans la bande de Gaza ». L’absence de perspective de règlement politique, doublée d’une situation socioéconomique explosive, fait que la bande de Gaza est une véritable poudrière. La communauté internationale en est consciente, mais reste les bras croisés.
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