Les récentes manifestations sont les plus importantes depuis la révolution de 2011.
(Photo:AP)
Du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, les Tunisiens ont couronné leur révolution par la chute de l’ancien président Zine El-Abidine Ben Ali. Cette révolution a envoyé des vagues d’optimisme à travers le monde arabe et prouvé que la démocratie n’est pas incompatible avec la culture musulmane. Depuis cette date, une série d’élections a eu lieu en Tunisie, celle de l’Assemblée constituante en 2011, les législatives et la présidentielle en 2014. Ce fut une expérience inédite en termes de pluralité et de transparence, et ce, malgré la passivité relative des électeurs, notamment parmi les jeunes. Mais rien à comparer avec les élections précédentes organisées depuis l’indépendance en 1956, où il n’y avait ni concurrence ni transparence.
La révolution a donc permis aux Tunisiens une alternance du pouvoir, une liberté d’expression, de presse et de rassemblement. Elle leur a également permis la création d’ONG pour veiller aux droits fondamentaux, à la liberté et à la lutte contre la corruption. La vie politique s’est redynamisée avec plus de 200 partis politiques, un parlement élu et une coalition au pouvoir. La société civile s’est également revitalisée avec 20 000 associations, des syndicats professionnels et une puissante Union du travail qui a son mot à dire dans la vie publique et les décisions politiques. Sans parler des milliers de colloques, conférences et débats qui discutent de tout et des mouvements de jeunesse qui prolifèrent dans l’espace public.
Dans la foulée, les droits des femmes tunisiennes ont fait une avancée considérable. Aussi bien celles qui ont pu porter le voile dans les lieux de travail que celles qui ont eu le droit de se marier avec un non-musulman. La parité fait son chemin dans la vie politique, avec les femmes de plus en plus représentées dans les cercles de la prise de décision, au sein du parlement et des municipalités.
De tout ce qui précède, il serait possible d’affirmer que la Tunisie se dirige vers la démocratie et la modernité plus qu’aucune autre société arabe. Les autres pays qui bénéficient d’une liberté d’expression et d’élections libres, à l’exemple du Liban et de l’Iraq, ont les handicaps d’un système miné par le confessionnalisme et l’ingérence étrangère. Avec sa société homogène, la Tunisie a donc le plus de chance d’avancer sur le chemin de la démocratisation. Mais non sans embûches. Preuve en est la récente vague de manifestations contre les mesures d’austérité et les difficultés économiques.
Mêmes revendications sociales et économiques
En effet, la vague de protestations sociales qui accompagne ce septième anniversaire de la révolution, et le mécontentement des jeunes qui la caractérise, montre que tout ne va pas à merveille. D’autant plus qu’il s’agit des protestations les plus importantes et les plus élargies que le pays ait connues ces dernières années. Les responsables politiques, les hommes d’affaires et la classe moyenne supérieure s’en trouvent fortement inquiétés. Pourtant, la raison est simple : Le processus de démocratisation restera fragile tant que les revendications sociales et économiques de la révolution ne sont pas satisfaites. Celles-ci concernent surtout la justice sociale, la lutte contre le chômage, contre la corruption et contre la marginalisation des régions déshéritées. Bref, ce que les révolutionnaires avaient résumé il y a 7 ans dans leur slogan : « Travail, liberté, dignité ».
Certes, le premier ministre tunisien, Youssef Chahed, peut se targuer du fait qu’au cours des sept dernières années le nombre de fonctionnaires a doublé, le taux de croissance a atteint 2,3 %, le nombre de touristes a atteint les 7 millions, etc. Et ce, en plus du succès réalisé dans la guerre contre le terrorisme qui a frappé le pays entre 2013 et 2015. Aussi la Tunisie a-t-elle réussi à éviter la dangereuse polarisation sociale et politique entre laïcs et islamistes. Ces derniers ayant reconnu l’universalité des droits de l’homme et des acquis de la modernité et accepté la séparation du religieux et du politique, et les laïcs ayant abandonné leur exclusivisme. Il n’en demeure pas moins que les protestations actuelles montrent qu’au coeur de la crise politique, il y a cette absence notable d’un courant centriste entre la coalition au pouvoir et l’opposition de gauche. En effet, ni les islamistes ni les laïcs ne sont préoccupés par les revendications sociales et économiques de la révolution, alors que les formations de gauche, fragilisées par les dissensions, n’ont aucune présence parmi les masses.
Sept ans ne représentent pas une longue période dans la vie des peuples et l’histoire des révolutions. Mais pour éviter les rechutes et les impasses, un intérêt spécial devrait être accordé aux revendications économiques et sociales. Et pour y parvenir, la Tunisie ne devra compter que sur elle-même, parce que les donateurs et les hommes d’affaires étrangers n’iront probablement pas investir à Sidi Bouzid, Kasserine ou Tebourba.
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