C'est en premier lieu au Yémen que les deux puissances se livrent une guerre par procuration.
On y voit d’abord une bataille navale qui commence par une attaque iranienne contre un bateau d’aide humanitaire saoudien. S’ensuit une violente riposte saoudienne: des tirs de missiles détruisant notamment la centrale nucléaire iranienne de Bouchehr ou encore la base aérienne de Badr, des raids aériens ciblant des sites militaires, et enfin un débarquement sur le sol depuis la mer, la terre et le ciel, un régime iranien vaincu, et une population qui accueille à bras ouverts ses « libérateurs ».
La « guerre » entre Riyad et Téhéran se joue donc aussi sur Internet, alors que la fin 2017 a témoigné d’une exacerbation du bras de fer entre l’Arabie saoudite et l’Iran. D’abord avec la crise qu’a traversée le Liban en novembre dernier— l’ingérence iranienne dans les affaires internes du Liban via son puissant allié, le Hezbollah, avait poussé le premier ministre, Saad Hariri, à annoncer depuis Riyad sa démission avant qu’il ne revienne sur sa décision suite à une médiation française—, puis, surtout à cause du conflit au Yémen, où les deux puissances se livrent à une guerre par procuration. C’est au sujet du Yémen justement que la tension est montée d’un cran en décembre, quand l’Arabie saoudite a intercepté au-dessus de Riyad, pour la deuxième fois en deux mois, un missile balistique tiré par les rebelles yéménites houthis, que les Iraniens sont accusés d’armer. C’était à peine quelques jours après que Washington eut affirmé que le premier missile, tiré le 4 novembre sur Riyad, était de « fabrication iranienne ».
En fait, la rivalité entre les deux puissances ne date pas d’hier. Au-delà de l’antagonisme ancestral entre Arabes et Perses et entre chiites et sunnites, la relation entre les deux pays, qui incarnent des modèles politiques et confessionnels différents, s’est nettement détériorée depuis l’avènement de la Révolution iranienne de 1979. Et plus tard, à cause de l’influence grandissante de l’Iran dans la région. Dans ce contexte, la chute du régime iraqien sunnite de Saddam Hussein en 2003 et l’arrivée, dans ce pays, d’un gouvernement dominé par les chiites et proche de Téhéran, a été un tournant. Et le paroxysme a été atteint à cause des conjonctures régionales, avec, en premier lieu, le conflit syrien, aujourd’hui nettement en faveur du régime, et ce, grâce à l’appui de Téhéran et de Moscou à Damas. Ainsi, les Iraniens, alliés à la Syrie depuis les années 1980 et très présents au Liban par l’intermédiaire du Hezbollah, ont pu établir une continuité géographique chiite, du Liban à l’Iraq, ce qu’on a appelé « le croissant chiite ». Et ont pu étendre leur influence jusqu’au Yémen, grâce à leur soutien aux rebelles houthis.
Riyad, qui compte désormais se servir du dernier tir de missile houthi pour mobiliser des soutiens en faveur de sanctions supplémentaires contre le programme balistique iranien, a aussi appelé à agir « immédiatement » contre l’Iran. Cet appel signifie-t-il que les choses risquent d’évoluer vers plus de confrontation en 2018? Et quelles formes prendra cette confrontation? Selon les analystes, le risque d’un conflit direct ou d’un conflit régional plus large est improbable. « Le bras de fer s’accentue, ceci est certain, mais il restera indirect », prévoit l’analyste politique Hassan Abou-Taleb, et pour cause, dit-il, « les deux pays sont parfaitement conscients qu’une guerre au sens propre du mot n’est pas dans leur intérêt. Ce serait une catastrophe pour les deux camps sur tous les plans : économique, politique et humain ».
Le Yémen, épicentre de la confrontation
Mais ce qui est sûr, selon Abou-Taleb, c’est que chacune de ces deux puissances tentera, via des acteurs interposés, de faire pression sur l’autre. C’est donc au Yémen que l’essentiel se jouera, où « l’on peut prévoir une intensification des combats, chacune des deux parties voulant gagner la partie sur le terrain pour avoir le dernier mot une fois qu’on passera à la table des négociations », affirme de son côté le politologue Ahmad Youssef, directeur du Centre des études arabes et africaines au Caire. Car, tout compte fait entre Riyad et Téhéran, c’est une rivalité géostratégique, une question de domination politique, de zones d’influences. « C’est dans cette optique que l’Arabie saoudite est en train d’améliorer ses relations avec l’Iraq, une approche qui peut conduire à une reprise des relations diplomatiques et économiques, une réouverture des ambassades et un retour des liaisons aériennes. Si cela arrive, ce sera une gifle lancée à la figure de l’Iran », juge Hassan Abou-Taleb. « De son côté, l’Iran veut étendre son influence dans les pays voisins de l’Arabie: le Liban, la Syrie et l’Iraq au nord, le Yémen au sud », affirme Sameh Rachad, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Mais le plus grave, ajoute Rachad, c’est que l’Iran tente d’utiliser la minorité chiite à l’est de l’Arabie pour déstabiliser le Royaume ».
Bref, l’Arabie s’inquiète parce qu’elle estime que les zones d’influences de l’Iran se sont multipliées autour d’elle. Et l’Iran est préoccupé par l’alliance Washington-Riyad et la volonté des deux capitales de démanteler l’accord sur le nucléaire. Mais si les deux puissances régionales se sentent mutuellement menacées, elles ne sont pas prêtes, pour l’heure, à s’affronter directement .
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