C’est une purge sans précédent en Arabie saoudite. Pas moins de onze princes, quatre ministres en exercice et plus d’une trentaine d’anciens hauts responsables ont été arrêtés dans la nuit de samedi à dimanche dans le royaume. Une opération coup de poing qui intervient suite à la mise en place d’une nouvelle commission anticorruption présidée par le prince héritier lui-même, Mohamad bin Salman, fils du roi Salman, conformément à un décret royal. Parmi les dizaines de personnalités interpellées samedi 4 novembre figurent d’importants noms, comme le célèbre milliardaire Al-Walid bin Talal, ainsi que l’ancien ministre des Finances, Ibrahim Al Assaf. Ou encore Mitaeb bin Abdallah, chef de la puissante Garde nationale, Abdallah Al Sultan, chef de la marine, et Adel Faqih, ministre de l’Economie, qui ont été relevés de leurs fonctions. Fils de l’ancien roi Abdallah, Mitaeb était le dernier des princes de la branche Abdallah, un temps considéré comme prétendant au trône ... La Garde nationale qu’il dirigeait est un puissant instrument de défense du pays. Selon la chaîne Al-Arabiya, la commission anticorruption a ouvert des enquêtes sur des affaires, pour certaines assez anciennes. Il s’agit de « préserver l’argent public, punir les personnes corrompues et ceux qui profitent de leur position », a souligné l’agence de presse officielle SPA. Le procureur général d’Arabie saoudite, cheikh Saoud Al-Mojeb, qui fait luimême partie de la commission anticorruption, a de son côté affirmé que les « suspects se voient accorder les mêmes droits et le même traitement que n’importe quel autre citoyen saoudien. La position et le statut d’un suspect n’influencent pas l’application ferme et juste » de la loi. Quant au ministère de l’Information, il a annoncé que les comptes bancaires des personnes concernées seraient « gelés » et que tous les biens « résultant de la corruption » seraient « restitués à l’Etat ».
Nouvelle approche
Beaucoup trop de bouleversements, aussi importants que rares, dans une Arabie saoudite qui a longtemps privilégié les évolutions lentes aux changements brusques, diront les observateurs. Mais c’est bien le prince héritier qui est venu changer l’inchangeable en Arabie saoudite. En effet, cette vaste purge a eu lieu moins de deux semaines après une intervention exceptionnelle de Mohamad bin Salman à un forum économique d’investisseurs le 24 octobre à Riyad. Ce jour-là, il a promis une nouvelle Arabie « modérée, ouverte et tolérante ». « Nous n’allons pas passer 30 ans de plus de notre vie à nous accommoder d’idées extrémistes et nous allons les détruire maintenant ». Une gageure audacieuse que le prince héritier semble déterminé à poursuivre. Mohamad bin Salman s’est en effet lancé dans un ambitieux programme de transformation de l’Arabie saoudite. Transformation économique en misant sur l’après-pétrole (en avril 2016, Mohamad bin Salman a mis en place le plan « Vision 2030 » pour que l’Arabie, plus gros exportateur mondial, ne soit plus dépendante du tout-pétrole). Mais aussi transformation sociale en autorisant dès l’année prochaine les femmes à conduire leurs voitures et en promettant l’ouverture prochaine de salles de cinéma. Considérés comme une « menace pour l’identité culturelle et religieuse », les cinémas avaient été interdits dans les années 1980. Et transformation politique avec une marginalisation de fait des religieux conservateurs, et surtout avec ces derniers développements. Car derrière ces évictions se profile aussi le désir de Mohamad bin Salman de rompre avec la vieille garde. Le prince héritier saoudien bouscule donc l’ordre établi. Avec sa popularité et sa jeunesse, Mohamad bin Salman est devenu celui qui a le plus de prédispositions à apporter du sang neuf dans le pays. Mais il y a aussi des réfractaires. Peu importe, pensent les partisans du prince héritier, selon lesquels il est impossible de parvenir à un consensus dans un pays qui est le théâtre de réformes sans précédent. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite n’a plus le choix : ce jeune, impétueux et audacieux, prend des risques pour que son pays change. Mais le pari est tout de même risqué car, outre les défis internes, le royaume est confronté à d’importants défis externes aussi complexes qu’enchevêtrés : de la guerre au Yémen à la crise avec le Qatar en passant par les relations enflammées avec l’Iran.
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