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Dr Sameh Rachad : La reprise d’Alep a littéralement changé la donne en Syrie, celle de Raqqa confirme ce changement

Maha Salem, Mercredi, 25 octobre 2017

Dr Sameh Rachad, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, explique pourquoi la reprise de Raqqa renforce le régime de Bachar Al-Assad.

Al-ahram hebdo : Au-delà de la victoire contre Daech, quelles conséquences aura la reprise de Raqqa sur le conflit syrien ?

Dr Sameh Rachad : Tout d’abord, il faut signaler que quand Daech s’est emparé d’une large partie des territoires syriens, il y a plus de trois ans, il était prévisible qu’il y aurait d’importantes batailles concentrées sur deux axes majeurs : Alep et Raqqa. A Alep, la bataille était entre le régime et les rebelles, elle ne concernait pas uniquement Daech. Et sa fin en faveur du régime a donné la voie à un règlement politique en imposant un fait accompli : le maintien du président Bachar Al-Assad. Ce qui était initialement rejeté par l’opposition et ses alliés. La reprise d’Alep par le régime était un tournant majeur dans la crise syrienne, elle a mis quasiment fin à l’option du départ d’Assad. D’ailleurs, depuis et au cours des rencontres de Genève, l’opposition et ses alliés régionaux ne demandent plus qu’un partage du pouvoir et une intégration juste et égale à la scène politique. Quant à Raqqa, la reprise de cette ville qui était aux mains de Daech marque un revers considérable pour les djihadistes. Considérée souvent comme leur capitale, cette lourde perte annonce la fin de cette organisation terroriste. Cela dit, Daech va probablement se disloquer et se diviser en groupuscules qui peuvent toujours commettre des actes terroristes. En outre, la reprise de ces deux villes met fin à l’idée d’une intervention militaire étrangère en Syrie. En fait, c’est d’abord la reprise d’Alep qui a littéralement changé la donne en Syrie, celle de Raqqa et la chute de Daech ont confirmé ce changement.

— Après la reprise de Raqqa, pourquoi Washington a-t-il donné son contrôle aux Kurdes et non pas au régime syrien ? Cela n’augure-t-il pas de troubles d’un autre genre ?

— C’est une récompense pour les Kurdes qui ont lutté pour détruire Daech en Syrie. Par ailleurs, cela entre dans le cadre d’une politique qui vise à un partage du pouvoir en Syrie. En fait, il y a, en Syrie, des forces internes dépendant de forces régionales. Autrement dit, les Forces Démocratiques Syriennes (FDS) contrôlent Raqqa mais elles dépendent des Kurdes syriens. Dans le sud de la Syrie, il y a des forces dépendant de l’Iran et ainsi de suite. Et il y a un accord tacite entre tous ces camps pour qu’en fin de compte, chacun préserve ses intérêts.

— N’est-ce pas là un gros risque ?

— Tout à fait, un conflit d’un autre genre va paraître. Cette fois, le conflit sera au niveau politique. Les FDS, créées en octobre 2015, peuvent se targuer d’être les acteurs de la victoire contre Daech dans son fief de Raqqa. Elles sont bel et bien le fer de lance de la lutte antidjihadiste en Syrie. Ce sont les principaux partenaires, en Syrie, de la coalition internationale antidjihadiste menée par les Etats-Unis. Mais elles sont aussi les rivales du régime de Bachar Al-Assad, et leur présence pose également problème à la Turquie, qui veut empêcher les Kurdes de constituer une ceinture autonome le long de sa frontière avec la Syrie. C’est pour cela qu’Ankara a lancé une opération à l’intérieur de la Syrie en s’appuyant sur des rebelles syriens qui ont pris Jarablous, bastion de Daech, et Dabiq, proches de la frontière. Mais Ankara n’a pas réussi à convaincre Washington de trouver un partenaire alternatif aux FDS pour prendre Raqqa.

— Oui, mais les forces kurdes qui y ont participé entendent tirer profit de cette victoire pour s’imposer et avoir plus de poids ... L’après-Daech n’est-il donc pas problématique en Syrie ?

— C’est vrai qu’elles veulent en tirer profit. Mais il faut savoir que les Kurdes syriens ne sont pas intraitables, leurs revendications ne sont pas impossibles à réaliser. Ils n’ont pas les mêmes velléités indépendantistes des autres Kurdes. Tout ce à quoi ils aspirent, c’est un partage équilibré des ressources et du pouvoir avec les autres Syriens.

— Qu’est-ce qui a rendu la victoire contre Daech plutôt facile ?

— Tout simplement parce que les raisons qui leur ont donné leur force n’existent plus. Les pays qui les soutenaient, en leur donnant argent et armes, ne leur donnent plus rien. Ceux qui ont créé Daech ont décidé de le détruire. Et la communauté internationale a exercé de fortes pressions sur les pays qui finançaient ce groupe pour arrêter ce financement.

— Cette chute pose cependant le problème du sort des djihadistes, notamment les étrangers. Qu’en adviendra-t-il ?

— Les djihadistes étrangers auront du mal à retourner dans leurs pays. Il est prévisible qu’ils rejoignent Deir Ez-Zor ou d’autres groupes djihadistes dans d’autres pays de la région.

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