Des manifestations contre le blocus aérien.
(Photo : AFP)
La réaction du gouvernement iraqien, à savoir les mesures prises pour isoler le Kurdistan suite au référendum sur l’indépendance tenu le 25 septembre, n’a rien de surprenant. Tout comme l’acharnement de la Turquie et de l’Iran, les voisins les plus concernés par l’enjeu kurde.
Sur le plan interne, le gouvernement autonome du Kurdistan et Bagdad sont entrés dans un bras de fer dont il est difficile de prévoir les résultats. Un blocus aérien a commencé à toucher le Kurdistan vendredi 29 septembre, Erbil, la capitale de la province autonome du Kurdistan iraqien, refusant d’obéir à Bagdad après le « oui » massif de ses citoyens au référendum sur l’indépendance (93 % selon les autorités du Kurdistan).
Mettant son ultimatum du 26 septembre à exécution, le pouvoir central iraqien a donc confirmé la suspension, à partir de vendredi, de tous les vols internationaux en provenance du Kurdistan ou vers ses deux aéroports d’Erbil et Souleimaniyeh. Il s’agit de la première mesure de rétorsion concrète de Bagdad. En revanche, malgré l’appel des députés iraqiens lancé au premier ministre iraqien, Haider Al-Abadi, pour envoyer l’armée dans les zones disputées avec les Kurdes, celui-ci s’est gardé de se prononcer dans l’immédiat.
Pour le moment donc, Bagdad opte pour l’asphyxie économique comme mesure de rétorsion. Une fermeture prolongée du trafic aérien aurait des conséquences potentiellement dramatiques. « Nous avons ici des consulats, des compagnies et du personnel international, cela va affecter tout le monde. Ce n’est pas une bonne décision », a regretté, jeudi dernier auprès de l’AFP, la directrice de l’aéroport d’Erbil, Talar Faiq Saleh. « Nous avons aussi un grand nombre de réfugiés qui utilisent l’aéroport, et nous étions un pont entre la Syrie et l’Onu pour l’envoi de l’aide humanitaire. Et il y a aussi des forces de la coalition (internationales antijihadistes), ce qui veut dire que l’aéroport servait pour tout », a-t-elle ajouté. D’ailleurs, le porte-parole de la coalition internationale anti-Daech, colonel Ryan Dillon, a souligné l’impact de ce référendum sur les opérations en cours contre les djihadistes. « L’objectif, qui était comme un rayon laser dirigé contre Daech, ne l’est plus à 100 % », a-t-il regretté. En effet, selon un diplomate qui a requis l’anonymat, « la tenue du référendum en Iraq se situe dans un contexte régional et mondial d’autant plus complexe que la guerre en Syrie prend en cours de pacification », selon lequel « la position des Etats-Unis et de la Russie n’est pas encore claire à l’égard de ce sujet, quoique cruciale ». Pour le moment, Washington a appelé les deux parties au « calme » et au « dialogue ». « Nous voudrions voir un peu de calme de tous les côtés », a insisté la porte-parole du département d’Etat, Heather Nauert, jeudi à Washington, rappelant que « les Etats-Unis ne veulent rien faire qui aggraverait les tensions », et en soulignant que « les Etats-Unis sont disposés à faciliter une conversation » entre Bagdad et Erbil. Mais le ton n’est pas à l’entente entre les deux parties. « Il n’y a aucune négociation, ni officielle, ni secrète, avec les responsables kurdes. Et il n’y en aura pas tant qu’ils ne déclareront pas les résultats du référendum caducs, et ne remettront pas aux autorités de Bagdad leurs poste-frontières, leurs aéroports et les régions disputées où ils ont déployé leurs forces », notamment la province multiethnique et disputée de Kirkouk, riche en pétrole.
Quant à la Russie, dont le président Vladimir Poutine était en visite jeudi 28 septembre en Turquie où il a rencontré son homologue Recep Tayyip Erdogan, et compte d’importants intérêts économiques au Kurdistan, elle s’est montrée plus vague, affirmant, d’un côté, considérer « avec respect les aspirations nationales kurdes », et de l’autre, que « les disputes entre Bagdad et Erbil doivent être résolues par le dialogue avec l’objectif de trouver une formule de coexistence au sein de l’Etat iraqien ».
Rôle-clé de la Turquie
En attendant que les cartes soient jouées, le gouvernement du Kurdistan iraqien, ne montrant aucune volonté de céder, a une nouvelle fois rejeté les décisions prises par Bagdad, à son encontre, dénonçant une « punition collective ». Mais ces mesures de rétorsion pourraient bientôt dépasser le cadre iraqien. En effet, jeudi 28 septembre, le premier ministre turc, Binali Yildirim, a demandé la tenue d’un sommet Ankara-Téhéran-Bagdad afin de coordonner les mesures à prendre. Après le transport aérien, l’autre moyen de pression sur les autorités kurdes est le pétrole, et la clé se trouve en Turquie. Ankara est le premier concerné par la question, 550 000 des 600 000 barils produits quotidiennement par le Kurdistan iraqien, étant exportés via un oléoduc reliant Kirkouk au site turc de Ceyhan (sud). Si la Turquie ferme le robinet menant à ce terminal, le Kurdistan serait asphyxié, car son économie dépend presque exclusivement de l’or noir. Pour le moment, la Turquie a certes menacé, mais n’a encore pris aucune mesure concrète. Mais en attendant, M. Yildirim a réaffirmé le soutien de son pays au gouvernement iraqien. « Aux poste-frontières, notre interlocuteur sera l’Iraq. Dans les aéroports, notre interlocuteur sera Bagdad, et dans toutes les activités économiques, notre interlocuteur direct sera le gouvernement central iraqien », a dit le premier ministre turc, sans mentionner spécifiquement la question du brut du Kurdistan.
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