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En Iraq, l’heure est aux calculs politiques

Maha Salem avec agences, Lundi, 07 août 2017

Les difficultés de l'après-Daech com­mencent à émerger en Iraq, où le mouvement sadriste revient en force sur la scène, réitérant ses anciennes revendications politiques.

Manifestations des partisans de Moqtada Sadr à Bagdad. (Photo:AFP)
Manifestations des partisans de Moqtada Sadr à Bagdad. (Photo:AFP)

Après quelques mois de retrait, l’influent chef chiite iraqien Moqtada Al-Sadr revient en force pour occuper le devant de la scène politique iraqienne. Vendredi dernier, Moqtada Al-Sadr, chef de l’une des milices ayant combattu la présence américaine en Iraq, a appelé ses parti­sans à manifester à Bagdad et dans les provinces d’Iraq, contre la corrup­tion au sein de l’Etat, pour la réforme des services publics, à dénoncer les politiciens corrompus et à réclamer une réforme de la loi électorale et une reprise en main du gouvernement par des technocrates. Des manifestations qui interviennent après la libération de Mossoul des mains des djihadistes de l’Etat Islamique (EI). En effet, alors que tous les efforts conver­geaient dans la lutte anti-Daech, l’heure est aujourd’hui aux nouveaux calculs politiques des uns et des autres.

Il y a plusieurs mois déjà, Moqtada Al-Sadr avait menacé de boycotter les législatives prévues en 2018 si la loi électorale n’était pas modifiée. Et, en début d’année, les Nations-Unies avaient appelé le parlement iraqien à finaliser l’examen en cours de la loi et de la commission électorales. « Le peuple iraqien restera sur la place Tahrir jusqu’à ce qu’il obtienne satis­faction de ses demandes, notamment un véritable comité électoral démo­cratique », a affirmé à l’AFP Ibrahim Al-Jabri, haut responsable du mouve­ment sadriste. Ce qui laisse planer le spectre de troubles.

Pourtant, ce n’est pas la première fois que de telles revendications sont lancées par Moqtada Al-Sadr. « Ces revendications remontent à l’époque de l’ex-premier ministre, Nouri Al-Maliki. Mais depuis le lancement de l’offensive contre Daech, Sadr avait mis en sourdine cette affaire en annonçant à plusieurs reprises qu’il concentre ses efforts dans la lutte lancée pour libérer son pays. Mais son silence était aussi dû aux pres­sions internationales et régionales exercées à son encontre, vu que la priorité était de venir à bout de Daech », explique Dr Sameh Rachad, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire. Désormais, après l’éviction de l’EI, chacun revoit ses calculs. « Rien ne l’oblige désor­mais à abandonner ses revendica­tions. Et Sadr fera tout pour parvenir à ses fins : organiser des manifesta­tions massives, lancer des appels à des grèves générales, pousser ses ministres et ses députés à s’opposer aux décisions prises par les autorités iraqiennes ou à s’abstenir lors des votes », explique Dr Sameh Rachad tout en prévoyant que le leader chiite maintiendra tout de même un mini­mum de stabilité.

Appels au désarmement des milices
En effet, outre les revendications politiques, Moqtada Al-Sadr a lancé un appel à Bagdad pour que soient saisies les armes circulant dans le pays, notamment celles des groupes paramilitaires. Essayant de justifier son appel, il y a exhorté le premier ministre, Haider Al-Abadi, à déman­teler les unités du Hachd Al-Chaabi, ces groupes paramilitaires composés de milices chiites dont celles dépen­dant de Moqtada Al-Sadr, et à inté­grer aux forces armées régulières les éléments disciplinés du Hachd. Il a également appelé à saisir les arsenaux de tous, dont ceux des groupes armés.

Le Hachd a notamment participé à l’offensive lancée par Bagdad en octobre dernier à l’issue de laquelle les forces iraqiennes ont repris Mossoul aux djihadistes du groupe Etat Islamique (EI). Téhéran soutient certains de ces groupes, et des res­ponsables iraniens ont, à plusieurs reprises, fermement refusé tout démantèlement du Hachd. « Cette demande exprime la crainte de ce chef chiite de la domination d’autres mouvements chiites. Il essaye de frei­ner leurs ambitions et leur force. Il craint que les autres chiites ne puis­sent contrôler plus de terre. Car il existe des différends parmi les chiites, et bien qu’ils soient au niveau des croyances et pas au niveau politique, ils peuvent être importantes », explique Dr Sameh Rachad.

En effet, les appels de Moqtada Al-Sadr interviennent juste après sa visite au Royaume saoudien, où il a été reçu par le prince héritier saoudien, Mohamad Bin Salman. Cela faisait onze ans que le dignitaire iraqien chiite ne s’était pas rendu dans le Royaume. Selon un communiqué publié par son bureau, les deux hommes ont abordé les relations bila­térales qui unissent leurs deux pays, ainsi que plusieurs autres dossiers « d’intérêt commun », sans plus de détails. Le même communiqué a qua­lifié la visite du dignitaire iraqien d’« avancée positive dans les relations entre l’Arabie saoudite et l’Iraq ». « Nous espérons que c’est là le début d’un recul des divisions sectaires dans la région arabo-islamique », a aussi indiqué le communiqué.

Si les communiqués officiels ne disent rien, il est tout de même clair que de nombreuses questions délicates ont été discutées, surtout lorsque l’on sait que Riyad craint plus que tout la domination de Téhéran sur l’Iraq. En effet, cette visite est la dernière d’une série de rencontres entre représentants des deux pays. Le mois dernier, le premier ministre iraqien, Haider Al-Abadi, s’est, lui aussi, rendu à Djeddah, où il a été reçu par le roi Salman. Les deux pays avaient alors affirmé que leurs relations avaient connu un « bond qualitatif », tout en exprimant leur désir de développer les liens économiques et commerciaux solides, et de coopérer dans le domaine de la « lutte contre le terrorisme ». Et en février, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Al-Jubeir, avait effectué une visite dans la capi­tale iraqienne, la première à ce niveau en Iraq depuis 2003, et où le Royaume a rouvert en 2015 une ambassade après 25 ans d’absence diplomatique, soit depuis l’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. Ces ren­contres de haut niveau ont pour but annoncé de normaliser et de renforcer les relations entre les deux pays, mal­menées au cours des dernières décen­nies, notamment après la récente réou­verture de deux postes-frontières qui étaient restés fermés depuis les années 1990 .

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