Les dépenses militaires nécessaires dans la lutte antidjihadisme pèsent sur le budget du Kurdistan.
(Photo : Reuters)
C’est sans surprise que la présidence du Kurdistan iraqien a annoncé un référendum sur son indépendance le 25 septembre. C’est sans surprise aussi que cette annonce a provoqué la colère de Bagdad, qui s’y oppose totalement, et les réticences internationales. Les Kurdes, eux, qui jouissent d’un statut autonome depuis 1992, ne peuvent que s’en féliciter. Composé de trois provinces, Dohouk, Erbil et Souleimaniyeh, le Kurdistan est une région du nord de l’Iraq. En plus de cette région, les Kurdes iraqiens disputent à Bagdad d’autres territoires, en particulier la province multiethnique, riche en pétrole et très convoitée de Kirkouk. Cette ville est contrôlée par les peshmergas, combattants kurdes iraqiens, depuis que les forces de Bagdad se sont précipitamment retirées en 2014 devant l’avancée du groupe Etat Islamique (EI).
Selon les analystes, l’annonce de la tenue d’un référendum trouve son origine dans deux facteurs : la crise économique qui menace cette région et la situation politique. « Cette région est devenue depuis plus de deux ans un abri pour les déplacés iraqiens qui ont fui les combats de Mossoul. Un lourd fardeau pour le gouvernement autonome auquel s’ajoutent les dépenses militaires qui ont nettement augmenté avec l’accélération des combats contre Daech. Sans oublier que la baisse des prix de pétrole a une large influence sur l’économie de cette région. En même temps, en cas d’indépendance, les Kurdes profiteront, à eux seuls, des ressources pétrolières. Cette situation économique s’ajoute aux raisons politiques », affirme Dr Ahmad Youssef, politologue et directeur du Centre des études et des recherches arabes et africaines.
Quelles conséquences régionales ?
Or, la volonté indépendantiste kurde ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, le 3 février 2016, Massoud Barzani affirme que « l’heure est venue » pour les Kurdes d’Iraq de se prononcer par référendum sur la création d’un Etat. « Ce référendum ne mènerait pas nécessairement à la création immédiate d’un Etat (kurde), mais permettrait de connaître la volonté et l’opinion du peuple du Kurdistan concernant son avenir », a récemment déclaré Barzani, en ajoutant que « les partis politiques se sont mis d’accord pour résoudre certains des différends politiques et économiques avant la tenue du référendum ». En effet, de profonds désaccords divisent les partis kurdes, ce qui pourrait aussi paralyser les institutions d’un futur Etat indépendant. De même, une éventuelle indépendance du Kurdistan iraqien suscite l’opposition de Bagdad et ce rejet sera encore plus fort si les Kurdes tentent d’étendre leur influence sur les zones hors de leur région actuelle. D’autres pays de la région comptant d’importantes minorités kurdes pourraient aussi s’opposer à une indépendance du Kurdistan iraqien de peur qu’elle ne fasse tache d’huile chez eux.
Mais la question kurde dépasse de loin les frontières iraqiennes. Outre l’Iraq, les Kurdes vivent principalement dans trois autres pays : la Turquie, l’Iran et la Syrie. Et ces trois pays s’opposent catégoriquement à la création d’un Etat kurde. La Turquie est farouchement opposée à toute constitution d’un Etat kurde sur une partie de son territoire ou même en Syrie voisine où les Kurdes ont constitué une région autonome. Si Ankara entretient actuellement des relations économiques avec les autorités du Kurdistan iraqien, cela pourra changer en cas d’indépendance, et une opposition turque mettrait sérieusement en péril la viabilité du futur Etat. Le Kurdistan iraqien tire ses principales recettes de l’exportation de pétrole, et celle-ci se fait via un pipeline arrivant au port turc de Ceyhan. Autre pays, l’Iran, qui compte une minorité kurde, a exprimé son opposition à la tenue de ce référendum. « La position première de l’Iran est de soutenir l’intégrité territoriale de l’Iraq », a indiqué le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Bahram Ghasemi. Tout en ajoutant : « La région du Kurdistan fait partie de la République iraqienne et toute décision unilatérale prise en dehors du cadre national et légal peut seulement conduire à de nouveaux problèmes ».
Une région autonome depuis la chute de Saddam
Le Kurdistan iraqien, dont la capitale est Erbil, s’est constitué en région autonome aux termes de la Constitution iraqienne de 2005, qui a instauré une République fédérale. Après la chute de Saddam Hussein en 2003, les Kurdes s’étaient soulevés, mais la répression avait provoqué un exode, poussant les Etats-Unis et leurs alliés à instaurer une zone d’exclusion aérienne pour les protéger. Mais bien avant, dès 1992, les Kurdes iraqiens ont élu un parlement et constitué un gouvernement. Mais ces institutions, non reconnues par la communauté internationale, ont été paralysées, entre 1994 et 1998, par des violences meurtrières entre le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) et son rival de l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK). En 2003, les Kurdes se sont alliés à la coalition internationale pour renverser Saddam Hussein, et une administration unifiée a été mise en place début 2006. Cette région compte 4,69 millions d’habitants (soit 15 à 20 % de la population iraqienne), principalement des Kurdes, mais aussi une minorité de Turcomans. Majoritairement sunnites, les Kurdes ont préservé leurs dialectes, leurs traditions et une organisation largement clanique. Massoud Barzani, élu président du Kurdistan en 2005, a vu son mandat arriver à échéance en août 2015, mais le chef du PDK est resté au pouvoir malgré les critiques des partis de l’opposition.
Lien court: