Al-ahram hebdo : Quelles sont les dernières évolutions en ce qui concerne les combats sur le terrain ?
Mohamed Abdel-Meguid Qubati : Dernièrement, des combats ont opposé les forces loyalistes au président Abd-Rabbo Mansour Hadi, soutenues par la coalition menée par l’Arabie saoudite, aux rebelles houthis dans la ville de Taëz (sud) contrôlée par ces derniers. Il s’agissait de leur reprendre le palais présidentiel. Les combats ont fait 27 morts. Comme vous le savez, cela fait deux ans que les forces de la coalition sont engagées dans une guerre féroce contre les rebelles houthis financés et armés par l’Iran. Cette guerre a fait plus de 8 000 victimes et plusieurs dizaines de milliers de blessés selon l’Onu, et a complètement détruit l’infrastructure du pays. D’après l’Organisation mondiale de la santé, plus de 500 personnes sont mortes à cause de l’épidémie de choléra qui a touché 55 200 Yéménites ces dernières semaines. Le Yémen est devenu le pays arabe le plus pauvre avec 17 millions d’habitants, soit les deux tiers de la population, exposés au risque de famine, toujours selon l’Onu.
Ce qu’on demande c’est de changer l’itinéraire de l’acheminement des aides humanitaires vers Taëz pour qu’elles parviennent aux personnes assiégées. Parce qu’aujourd’hui, les Houthis mettent la main sur le gros des aides, laissant les habitants mourir de faim.
— Le mois dernier, des hommes forts du Sud ont annoncé la mise en place d’un conseil de transition, sous la direction de l’ancien gouverneur d'Aden, Aidarous Al-Zoubaidi. Quel effet cette démarche risque-t-elle d’avoir sur le règlement de la question du Sud ?
— Le Sud a réussi à obtenir une reconnaissance internationale des injustices qu’il a subies, et de son droit à être représenté à hauteur de la moitié aux institutions du futur Etat du Yémen. Ce à quoi on aspirait à ce stade c’était la formation d’une entité regroupant les forces, les mouvements et les organisations sudistes, plutôt que d’un organisme parallèle, voire alternatif au pouvoir légitime et aux forces de la coalition. Malheureusement, l’annonce de la création de ce conseil de transition risque de soulever des divergences qui ne correspondent pas aux priorités de cette phase difficile. Il ne faut pas perdre de vue que toute tentative d’ignorer la réalité ou de brûler les étapes aura des conséquences régionales et internationales susceptibles de gâcher certains des gains que les Sudistes ont obtenus au bout d’une décennie de travail et de mobilisation.
— Que faut-il faire afin de ne pas perdre de vue la question principale, à savoir la restauration du pouvoir légitime et la préservation de l’unité du Yémen ?
— Il nous faut d’abord réfléchir à certaines questions. D’abord qu’est-ce que signifie un conseil de transition ? Cela signifierait sans doute la fin de l’autorité légitime l’ayant précédé et l’annulation de ses prérogatives. Et par conséquent, la fin de la légitimité de la coalition arabe opérant sur le sol du pays. Autre question : que signifient les termes « administrer le sud du pays » qui figurent dans la déclaration de ce conseil ? Cela signifierait tout aussi clairement que ledit conseil s’est donné des responsabilités vis-à-vis du territoire à administrer, dont la fourniture des services …
A partir de ces deux questions, on peut conclure que cette démarche, d'un côté, conteste la légitimité de la coalition arabe au Yémen et que, d’un autre côté, elle représente un engagement qui dépasse la capacité de cette nouvelle entité en termes politiques et économiques que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Je crois qu’il aurait été plus réaliste et plus utile de créer un « conseil politique » pour être le porte-parole des revendications du Sud. Un tel conseil aurait bénéficié d’un large soutien de la part de tout le monde.
— L’ancien gouverneur d'Aden, Aidarous Al-Zoubaidi, a été limogé fin avril par le président Hadi, en même temps que le ministre d’Etat, Hani Ben Brik. Ces limogeages sont-ils pour quelque chose dans la création de ce conseil de transition du Sud ?
— Il paraît que c’était une expression de colère et une réaction irréfléchie qui n’avait pas pris en considération la phase délicate par laquelle passait le pays. En créant ce conseil ils ont placé les intérêts personnels au-dessus des intérêts collectifs. Pour récupérer une patrie usurpée, il faut agir avec plus de patriotisme, plus de civilité et plus d’efficacité, sans slogans ni illusions. Il faut surtout éviter de consacrer les divisions …
— Le fait que vous êtes un natif d'Aden, un « fils du Sud » donc, vous accorde-t-il plus de crédibilité aux yeux des Sudistes ?
— Mon histoire témoigne de mes convictions et de ma défense de la cause du sud, comme en témoignent les plateformes internationales et les parlements des pays européens et des Etats-Unis. J’ai parlé depuis plus d’une décennie devant les caméras et aux télévisions sans crainte ni hésitation. Ceci dit, j’appelle tous les gens raisonnables à envisager la réalité dans toutes ses dimensions.
— Le dossier du Yémen, géré au sein des pays du Golfe, a-t-il reculé dans l’ordre des priorités de la Ligue arabe ?
— C’est tout le contraire. Le rôle de la Ligue arabe pour une issue politique de la crise a toujours été aussi important qu’efficace. Aussi la coalition arabe compte-t-elle plusieurs pays en dehors du Golfe, dont notamment l’Egypte, la Jordanie et le Maroc. Les ingérences de l’Iran et ses tentatives d’avoir un pied à Bab Al-Mandeb sont un souci pour tous les pays arabes, dont l’Egypte, pas uniquement ceux du Golfe. Nous avons besoin, à travers la Ligue arabe, de relancer le projet de la force arabe unie pour agir de concert avec les pays du Golfe afin de libérer le territoire du Yémen des mains des Houthis soutenus par l’Iran.
— Vous êtes aussi ministre du Tourisme et vice-président de l’Organisation arabe du tourisme. Pouvez-vous nous parler de l’impact de la guerre sur les sites et l’infrastructure touristiques au Yémen ?
— Malheureusement, les milices houthies et les forces de l’ex-président Ali Abdallah Saleh ont détruit des dizaines d’hôtels et de sites touristiques, dont 200 à la seule ville d'Aden. Le gouvernement légitime fait de son mieux pour préserver ce qui en reste, notamment dans les zones relativement épargnées comme l’île Socotra, la province de Mahrah ou la région de Hadramaout. On continue à participer, malgré nos conditions difficiles, aux expositions et conférences touristiques internationales pour attirer l’attention sur cette situation.
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