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Firas Tlass : La révolution syrienne est devenue une guerre régionale et internationale

Inès Eissa, Vendredi, 28 avril 2017

Ancien pilier du régime d’Assad, dissident depuis 2012 et aujourd'hui membre prominent du Tayar Al-Waad (opposition de l'extérieur), Firas Tlass fait le point sur la situation en Syrie. Selon lui, ce n'est qu'une fois que les parties participant au conflit seront épuisées par la guerre et que les grands pays seront lassés, qu’une ébauche de solution naîtra.

Firas Tlass : La révolution syrienne est devenue une guerre régionale et internationale
La révolte syrienne s'est transformée en guerre civile, puis en conflit régional et international. (Photo : AFP)

Al-Ahram hebdo : La situation en Syrie a témoigné de nouvelles donnes ces dernières semaines alors que devraient se préparer de nouvelles négociations. A votre avis, quelle serait la perspective du compromis politique, que ce soit à Genève ou à Astana ?

Firas Tlass : Il est encore tôt de parler d’un compromis politique final, même si au final, un éventuel compromis sera fait à Genève, Astana n’était qu’une tentative simple pour créer une condition spéciale entre les Russes et les Turcs. Et à mon avis, cette tentative a échoué en tant que solution, et même s’il y a une nouvelle étape de discussions à Astana, elle ne sera pas de grande valeur. D’autant plus que ce qui se passe sur le terrain syrien en ce moment n’a rien à voir ni avec Genève, ni avec ses développements.

Mais, inévitablement, à la fin du chemin, il y aura une table où s’assoiront toutes les parties. Et ce sera invraisemblablement à Genève (il est possible que ce soit au Caire, à Beyrouth, ou dans n’importe quel autre endroit, même si je vois que Genève restera le lieu favorable pour cela).

Firas Tlass
Firas Tlass

— Est-ce que vous considérez que les participants aux négociations de Genève représentent vraiment l’opposition ? Est-ce qu’ils ont une présence sur le terrain syrien qui leur permette de négocier au nom de l’opposition ?

— Je ne pense pas qu’il est de mon droit ou du droit de toute autre personne de décider si telle ou telle partie représente le peuple, le pays, l’Etat. Sans aucun doute, tous ceux qui sont à Genève représentent quelque chose, mais est-ce le peuple ou l’Etat, je ne sais pas !

Il faut qu’il y ait une vraie représentation, ou qu’il y ait un mécanisme pour avoir cette réelle représentation des Syriens, même si cette représentation est régionale au début, puis deviendra de plus en plus grande.

— Vous parlez de révolution, alors que ce qui s’est passé en Syrie a commencé par une révolte, s’est transformé en une guerre civile, et aujourd’hui, est devenu un conflit régional et même international. Pourquoi cette évolution ? Est-ce que la militarisation de la révolution syrienne était correcte ?

— La révolution syrienne est devenue une guerre civile, une guerre régionale et une guerre internationale, car elle est devenue le trou noir de toute la région, et le trou noir qui attire le changement dans toute la région. L’intransigeance du régime au début a poussé la révolution à se militariser, et l’intervention des pays de la région (sans mentionner les noms), deuxièmement, a poussé également à la militarisation de la révolution ; et ce, pour éloigner les révolutions de leurs pays, et voilà qu’à la fin, c’est le peuple syrien qui paye le prix. La militarisation de la révolution n’était pas juste, mais tu ne peux pas demander à un père qui a porté une arme pour défendre son fils : pourquoi as-tu porté l’arme ! après que son fils eut été tué devant lui. Par ailleurs, on ne peut pas demander aux hommes d’être des prophètes, surtout dans l’ombre d’un régime qui continue avec la violence et avec les pays de la région qui facilitent et aident la militarisation.

— Mais la situation s’est beaucoup compliquée avec les années ... Est-ce qu’il est possible d’arriver à une sortie de crise avec la présence de forces armées de plusieurs pays, et la présence d’une dizaine de nationalités dans les rangs des forces de l’opposition ?

— Au final, dans toute guerre, qu’elle soit régionale ou internationale ou civile, il y aura toujours une sortie. Ensuite, les combattants, ou ceux qui les dirigent, commencent à chercher une solution pour cette guerre et à mettre un mécanisme ou au moins une idée pour une vraie et réelle solution, ensuite, cette solution se diffusera entre les deux côtés et dans la région. En général, la solution commence à s’imposer une fois que toutes les parties sont épuisées par la guerre et que les grands pays se lassent et se tournent vers d’autres sujets et d’autres pays.

— Est-ce qu’il y a un vrai potentiel de remettre en place la structure de l’armée et les services de sécurité en Syrie en cas de compromis ? Ou est-ce que la remise en place de la structure dissociera les organes de l’Etat, comme en Iraq et en Libye ?

— Je ne suis pas de ceux qui croient à la possibilité de remettre en place la structure de l’armée et des services de sécurité, mais il faut les nettoyer et les réarranger en gardant leur structure. En ce qui concerne les services de sécurité, il faut préserver leur structure en s’assurant de changer les leaders de ces services. Quant à l’armée, il faut, au bon moment, créer une nouvelle armée nationale qui regroupera des éléments de toutes les parties qui se préoccupent de la paix du pays. Actuellement, l’armée est attachée à Assad, selon le slogan « Assad ou on brûle le pays » ; et bien sûr, une telle armée n’est pas bonne pour défendre le pays. En même temps, ce qu’on appelle aujourd’hui l’armée syrienne libre et les factions islamiques, elles aussi ont une doctrine achetée, et leurs armes ont été achetées, et cela ne peut pas être patriotique. Donc, il faut qu’il y ait quelque chose de nouveau des deux côtés avec l’objectif de protéger le pays.

— Comment est-il possible d’avoir une vraie conciliation après le compromis, à la lumière de ces diverses divisions qui ont eu lieu au cours des six ans de guerre, entre Syriens de l’extérieur et de l’intérieur, entre sunnites, chiites, ceux des régions voisines et les régions de l’ouest ?

— La vraie réconciliation qu’on aimerait avoir après le compromis devrait passer par la justice, ensuite par le pardon, et ensuite la réconciliation. Avec une vraie justice, les blessures seront réellement guéries et il pourra y avoir une vraie réconciliation ; sinon, les blessures vont rester présentes et la guerre continuera.

— Selon vous, y aura-t-il un accord russo-américain sur la Syrie à même de faciliter tout compromis ?

— Avec ce qui se passe maintenant, je vois tout le contraire : je vois qu’il y a un conflit russo-américain, et malheureusement, le meilleur endroit pour ce conflit, sans que les deux s’entretuent, est en Syrie. Notre terre et notre pays nous préoccupent. Il est très facile pour les Américains de donner des smacks aux Russes sur le terrain syrien, et il est facile également pour les Russes de répondre aux Américains sur le terrain syrien (que ce soit par un événement politique de surprise, par un spasme du régime syrien ou par n’importe quel autre événement sur le terrain syrien et en Syrie). Je ne pense pas que les Etats-Unis et la Russie soient prêts à trouver un quelconque accord.

— Quels sont donc les éléments de la solution et d’un compromis idéal, à votre avis, pour mettre fin à la guerre en Syrie ?

— Toute solution doit débuter par la sortie de la famille Assad, et il est préférable que cela se passe via la Russie (qu’ils prennent Assad en Russie) et ensuite, par la formation d’un petit conseil militaire et l’imposer. Ensuite, il est nécessaire d’organiser une conférence nationale générale avec la participation de 50 % des révolutionnaires sérieux, et 100 % des plateformes qui sont sous l’aile de la Russie, du Caire, etc. Ensuite, une deuxième conférence nationale aura lieu pour trouver une vraie solution pour la Syrie. Je vois que le début de toute solution commence par la sortie d’Assad de la Syrie.

— Mais la Russie peut-elle abandonner Bachar ?

— Bachar Al-Assad est sur la table des enchères entre les Etats-Unis et la Russie depuis plus de quatre mois : la Russie essaie d’élever sa valeur tandis que les Etats-Unis voient que sa valeur est en chute. En pratique, l’intervention des Russes en Syrie leur a offert d’importants gains, mais jusqu’à maintenant, la Russie n’a pas réellement pu accéder à ces gains. La Russie ressemble à celui qui est entré dans un casino, qui a joué et qui a beaucoup gagné, mais ses gains ne sont que des jetons, tandis que lui aimerait échanger ses jetons contre de l’argent : ceci est vraiment le cas des Russes en Syrie ; ils veulent que les Etats-Unis échangent les jetons et les transforment en vrais gains sur le terrain, et ensuite, ils abandonneront Bachar Al-Assad.

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