L'organisation de la Coupe du monde de football en 2022, l'une des plus grandes fiertés du Qatar.( Photo: AP)
Selon une anecdote racontée ça et là, lorsqu’on a posé à un responsable qatari, il y a quelques années, la question : « Quelles sont vos ambitions pour les années à venir ? », sa réponse était la suivante : « Auparavant, quand on demandait où se trouve le Qatar, on répondait que c’est un petit émirat proche de Dubaï. Bientôt, lorsqu’on demandera où est Dubaï, on dira qu’il est tout proche du Qatar ». Voilà qui est dit, et qui a commencé à être mis en pratique il y a déjà plusieurs années. Or, si Dubaï est un pôle économique et financier non négligeable, l’appétit du Qatar est bien plus gros. Son objectif est désormais de jouer un réel rôle politique, la puissance économique étant là utilisée comme un moyen pour parvenir à ce but et non une fin en soi. Tantôt qualifié d’incontournable, tantôt d’agaçant, le Qatar ne laisse plus indifférent et surtout ne passe plus inaperçu. Aujourd’hui, il occupe une place à part sur l’échiquier du Moyen-Orient, jouit d’un rayonnement international inversement proportionnel à la superficie de son territoire.
Déjà, le pays a su s’imposer comme une puissance médiatique inéluctable dans la région grâce à la chaîne Al-Jazeera, créée en 1996. Sur le plan politique, on assiste à une montée en puissance du petit émirat, inconnu jusqu’aux années 1990. Dimanche dernier, s’y tenait une réunion du comité de suivi de l’initiative de paix arabe. Le jour même, il accueillait une conférence internationale des donateurs sur la reconstruction et le développement du Darfour. La veille, les représentants du gouvernement soudanais et du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM), un groupe rebelle au Darfour, signaient un accord de paix à Doha (voir photo légende). Et la semaine dernière, l’émir du Qatar, cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, recevait le président afghan, Hamid Karzaï, pour discuter de l’ouverture d’un bureau de représentation des talibans, une première.
Une politique plus interventionniste
Le Qatar a, en outre, abandonné sa politique précédente de médiation neutre dans les conflits régionaux pour soutenir les mouvements de protestation en Libye ou en Syrie. Certains observateurs ont même qualifié l’octroi à l’opposition syrienne du siège de la Syrie lors du sommet de la Ligue arabe tenu fin mars à Doha d’un « coup de force imposé aux pays arabes ». En effet, Doha est surtout critiqué pour son soutien, parfois même matériel, aux mouvements islamistes de la région. Est pointé du doigt également l’appui du Qatar au Hamas, au détriment de l’Autorité palestinienne dirigée par le président Mahmoud Abbas. Et l’image du cheikh Hamad, effectuant en octobre 2012 la première visite d’un chef d’Etat dans la bande de Gaza depuis que le Hamas a pris le contrôle de ce territoire en 2007, est toujours dans les esprits. Un rôle de plus pour l’émirat ! Lors de la dernière réunion de la Ligue arabe, l’émir a une nouvelle fois prôné la constitution d’un fonds de 1 milliard de dollars en faveur de Jérusalem en vue d’encourager la sauvegarde de son « caractère musulman », promettant d’alimenter le quart de ce fonds. Mais au-delà des bonnes intentions, ce geste est à double tranchant pour l’Autorité palestinienne puisqu’il contribue aussi, d’une certaine manière, à la marginaliser, l’Autorité palestinienne n’ayant aucun droit de regard sur la partie arabe de Jérusalem, dirigée par les Israéliens.
Ainsi, le Qatar est accusé de mener une « diplomatie des carnets de chèques ». Profitant de sa richesse, il veut en fait, à travers cette politique, s’imposer comme un médiateur, un partenaire dans le jeu mondial, assurer son influence et garantir sa sécurité et son avenir. En cela, il a profité de l’affaiblissement diplomatique de l’Arabie saoudite, surtout de celui de l’Egypte, empêtrée dans ses propres problèmes.
Contradictions et vulnérabilité
Mais la politique étrangère du Qatar est aussi contradictoire : l’émirat défend les Palestiniens mais accueille un bureau de représentation commerciale israélien. Il prône la modération politique mais a financé la rébellion libyenne en 2011 et assiste la rébellion syrienne. Il abrite la plus grande base américaine, mais les talibans y ont une représentation. C’est un Etat foncièrement pro-américain, mais c’est aussi le principal soutien de nombre de mouvements islamistes, dont le Hamas qui y a aussi installé sa représentation.
En réalité, ces contradictions servent la soif de rayonnement international que nourrit Doha. A l’origine de cela, la vulnérabilité du petit émirat. Si le Qatar veut satisfaire son ego, il veut aussi faire en sorte que personne ne puisse remettre en cause l’appropriation des richesses de son sous-sol par la famille royale. Il ne faut pas oublier que ce pays est coincé entre deux puissances régionales : l’Arabie saoudite et l’Iran et qu’il craint ses voisins. En effet, le Qatar a longtemps eu des différends frontaliers avec l’Arabie saoudite. Et, si ses relations avec l’Iran sont stables, le partage de l’énorme gisement de gaz du North Field, dont les limites avec le South Pars iranien ont été définies le long des eaux territoriales des deux Etats, oblige le Qatar à la prudence. A cela s’ajoute une vulnérabilité due au manque de capacités militaires, à la faiblesse démographique et à la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures et de la main-d’oeuvre étrangère. Conscient de ses limites, l’émirat a choisi de se rendre indispensable à beaucoup d’interlocuteurs, pour s’assurer une certaine pérennité. Un jeu dont il a aujourd’hui les moyens, mais qui demeure risqué .
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