Al-ahram hebdo : Pouvez-vous nous parler des circonstances ayant entouré la tenue, la semaine dernière, du Congrès du Fatah ?
Ayman Al-Raqab : Le Congrès a été tenu dans une atmosphère chargée de dissensions. A la différence de Yasser Arafat, Abou-Mazen n’a pas réussi à gérer les différends au sein du Fatah. Les décisions qu’il a prises ces sept dernières années découlaient de ses motivations personnelles, il a écarté Mohamad Dahlan, un membre du comité central, et un autre membre du conseil révolutionnaire, la deuxième plus haute instance dirigeante du mouvement, entre autres députés parlementaires et cadres du Fatah. Il cherchait à évincer les voix discordantes qu’il accusait de soutenir son principal opposant Mohamad Dahlan. Ainsi, au lieu d’avoir 3 000 membres participant au Congrès, il n’y a eu que 1 400, soit moins de la moitié. Beaucoup de cadres ont exprimé leur mécontentement et remis en question la légitimité de ce Congrès. Certains estiment que l’empressement d’Abou-Mazen à tenir ce Congrès s’explique par sa volonté de contrer les efforts des pays du Quartette arabe (Egypte, Jordanie, Emirats arabes unis, Arabie saoudite) qui ont fait pression sur lui pour qu’il se réconcilie avec Mohamad Dahlan. Ce Congrès donc était destiné à accélérer l’entrée de nouveaux cadres au sein des instances dirigeantes et clore le dossier du retour de Dahlan et de ses partisans.
— La réélection d’Abou-Mazen, par consensus, à la tête du parti est-elle susceptible de mettre fin à ces divisions internes ?
— Ce vote à l’applaudimètre, sans élection, constitue une violation du règlement interne du Fatah. D’ailleurs, la manière dont il a été reconduit ne fait que prouver l’ampleur des tensions au sein du Fatah. L’objectif des partisans du président était de montrer qu’il demeurait le maître du parti et le symbole de la légitimité palestinienne. Mais cela ne cache pas les dissensions. Même Yasser Arafat, le fondateur du mouvement, n’a jamais compté sur une telle allégeance. Ainsi, en acceptant ce poste, Abou-Mazen, âgé de 82 ans, revient sur ses promesses de ne plus se porter candidat à une haute fonction. En revanche, il continue à s’accrocher à tous ses postes à la tête du Fatah, de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et de l’Autorité palestinienne. Bref, l’allégeance faite à Abou-Mazen lors d’un congrès dont tous ses opposants ont été bannis n’augure pas une bonne évolution, bien au contraire, les divisions vont s’exacerber.
— Pouvez-vous nous donner une idée du poids des différents courants au sein du Fatah ?
— Chaque courant se considère le plus fort. Le courant d’Abou-Mazen par exemple monopolise toutes les instances du Fatah, il prétend représenter la légitimité et détenir la majorité. De leur côté, le député Mohamad Dahlan et ses partisans prétendent être la majorité opprimée par Abou-Mazen, le détenteur de la décision, ou l’usurpateur de la décision comme ils aiment l’appeler, lequel utilise tous les moyens pour punir ses opposants. Dans les circonstances actuelles, il est vraiment difficile de parler d’un courant dominant. Les choses deviendront plus claires dans les mois à venir …
Ayman Al-Raqab
— Quelle est la position des partisans de Dahlan vis-à-vis de ce Congrès ?
— Ils refusent de reconnaître le Congrès et ses décisions. Pour eux, c’est une cérémonie à laquelle Abou-Mazen a invité ses acolytes. Ils promettent par ailleurs de réagir. Déjà ils ont formé un comité de 31 membres du Fatah à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine en vue de la tenue d’un Congrès élargi du mouvement dont ils préparent le programme. Mais ils affirment qu’ils s’abstiendront d’élire un comité central ou un conseil révolutionnaire pour ne pas être accusés de faire sécession. Personne ne peut minimiser l’importance du courant de Dahlan au sein du Fatah, ce qui revient à dire que la prochaine période témoignera de divisions encore plus profondes.
— Dans l’une de ses déclarations, le membre du comité central du Fatah, Jibril Rajoub, a estimé que « le système des années 1960 ne marche plus en 2016 ». Comment le comprenez-vous ? Cela veut-il dire qu’une réorganisation de fond en comble est nécessaire ?
— Ce discours n’est pas nouveau. En fait, beaucoup estiment que les structures du travail souterrain ne sont pas adaptées au travail public et que de nouvelles structures civiles devront remplacer les vieilles structures. Ceux qui s’opposent à cette logique considèrent que le Fatah n’a pas encore achevé ses objectifs, puisque les territoires sont toujours sous occupation israélienne, et qu’un éventuel affrontement armé avec l’occupant nécessiterait le retour au travail souterrain. La transformation du Fatah en un parti politique signerait donc sa fin en tant que mouvement populaire. Indépendamment de ces positions, d’après les informations dont je dispose, la restructuration du Fatah en vue de sa transformation en parti politique est actuellement envisagée. Cette démarche serait accompagnée de l’adoption d’un nouveau programme politique qui renonce à la lutte armée contre l’occupation israélienne, prônant plutôt la résistance populaire pacifique et les pressions diplomatiques. En réalité, cela ne manquerait pas d’affaiblir le Fatah qui sera complètement désarmé en cas d’échec du processus politique.
— Le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechaal, a adressé un message au Congrès où il a exprimé sa disposition à coopérer avec le Fatah. Est-ce un indice d’une réconciliation imminente entre le Fatah et le Hamas ?
— C’était un message de courtoisie, mais il apporte tout de même une reconnaissance de la légitimité d’Abou-Mazen et un appel au dialogue. D’après nos informations, le Qatar essaye de tenir une réunion à Doha entre des représentants du Fatah et du Hamas en vue d’une réconciliation, et pour préparer le terrain à la formation d’un gouvernement d’union nationale et la tenue d’élections législatives et présidentielle. Ceci devrait théoriquement aboutir à la réorganisation de l’OLP où chaque courant serait représenté à la lumière des résultats des élections parlementaires … A mon avis, les efforts du Qatar ne sont qu’un pied de nez à l’Egypte et je doute qu’ils aboutissent, surtout en l’absence d’une volonté palestinienne et arabe d’en finir avec cette situation.
— Mais pensez-vous que la tenue d’élections présidentielle et législatives soit possible dans les conditions actuelles ?
— La tenue d’élections parlementaires et présidentielle est impossible à cause des divisions actuelles. Il est vrai que la légitimité du président et du parlement est débattue depuis 5 ans et que le peuple palestinien a le droit d’élire ses dirigeants, mais comment organiser des élections sans réconciliation et alors que le Hamas contrôle la bande de Gaza, et le Fatah la Cisjordanie ? Aujourd’hui, tout le monde a le sentiment que le Fatah et le Hamas veulent maintenir le statu quo, ils gèrent bien cette division où le Fatah détient la présidence et le Hamas le Parlement. Le peuple palestinien, lui, s’est résigné de peur de déclencher une guerre civile.
— Pourtant, d’après les sondages, les deux tiers des Palestiniens souhaitent la démission de Mahmoud Abbas …
— Beaucoup de Palestiniens pensent que les années Abou-Mazen sont des plus sombres. Sa présidence a témoigné d’un schisme palestinien en 2007 et d’une division au sein du Fatah avec l’écartement de Dahlan en 2010. Les Palestiniens ont envie de tourner cette page et souhaitent que la succession se fasse en douceur et en toute intégrité. Mais, comme je l’ai dit, les opposants craignent la guerre civile. Les Palestiniens sont donc divisés entre ceux qui souhaitent la démission d’Abou-Mazen et ceux qui tiennent à lui par peur de l’inconnu.
— Le porte-parole du Fatah, Mahmoud Aboul-Hija, a déclaré que le but du Congrès est aussi de déterminer « que faire » face à « l’horizon bouché et à l’impasse des négociations » de paix. Concrètement parlant, que peuvent faire les Palestiniens aujourd’hui à ce sujet ?
— Indépendamment des déclarations de M. Aboul-Hija, une nouvelle expression a circulé à la veille du Congrès, celle de la « résistance intelligente ». Pourtant, tout au long des travaux, aucune précision n’a été donnée. Toutefois, en invitant une délégation israélienne à assister à la séance d’ouverture, et en parlant d’« occupation » et de « voisins », Abbas donne le ton du programme politique du Fatah : le rejet de la résistance armée comme moyen de lutte contre l’occupation et l’insistance sur le concept de résistance populaire, et surtout le recours aux pressions diplomatiques à travers les instances internationales.
— Pourquoi, selon vous, les relations du Fatah avec Le Caire se sont-elles refroidies ces derniers temps ?
— Les relations se sont refroidies dans un premier temps quand Abou-Mazen a refusé de coopérer avec le Quartette arabe. Mais les choses se sont compliquées davantage après le discours de ce dernier où il a fait allusion à des ingérences dans les affaires palestiniennes. Le Caire s’est senti visé par ces déclarations. Mais il se trouve que l’Egypte est affectée par la situation palestinienne du fait de ses frontières avec la bande de Gaza. Le Caire estime que ce territoire, contrôlé par le Hamas depuis 2007, représente une menace pour sa sécurité, notamment à cause des tunnels qui traversent la frontière. L’Egypte réalise donc l’importance de la réconciliation palestinienne pour le rétablissement de la sécurité à Gaza.
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