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Marlène Khalifa : Le choix de Michel Aoun marque une victoire pour l’alliance irano-syrienne

Inès Eissa, Mercredi, 26 octobre 2016

Marlène Khalifa, rédactrice en chef du journal libanais électronique Source diplomatique, estime que le Hezbollah sort renforcé de l’accord sur le choix de Michel Aoun. Elle met cependant en garde contre une radicalisation sunnite face à la prédominance chiite.

Al-Ahram Hebdo : L’accord qui ouvre la voie à l’élection de Michel Aoun à la présidence, après deux ans de vacances, est-il à même de stabiliser le Liban ?

Marlène Khalifa : Tout d’abord, il faut savoir que tout accord entre Michel Aoun et Saad Al-Hariri est conditionné par l’adhésion du Hezbollah. On ne peut plus imaginer aujourd’hui une charte à l’instar de l’accord entre maronites et sunnites de 1943, cela ne suffit plus pour garantir la stabilité du pays, puisqu’il y a dorénavant l’aval du parti chiite qui fait partie de l’équation politique. En effet, le Hezbollah considère qu’il a été laissé pour compte lors de l’accord de Taëf de 1990 (qui a mis fin à la guerre civile). Pour les dirigeants du parti chiite, l’échéance présidentielle représente aujourd’hui l’occasion de rattraper les lacunes du passé, à savoir : une loi électorale à la proportionnelle et une reconnaissance du rôle de la résistance libanaise aux côtés du régime de Bachar Al-Assad en Syrie. Le Hezbollah voudrait qu’une nouvelle loi électorale soit mise en place, une loi qui reverrait à la baisse la part des sunnites au parlement (qui dépasse en ce moment les 35 %) au profit des chiites. Limiter les prérogatives du premier ministre sunnite est aussi une des conditions du Hezbollah.

— Dans ce sens, l’accord des différents partis sur Michel Aoun peut-il être considéré comme une victoire de l’alliance irano-syrienne contre l’Arabie saoudite sur la scène libanaise ?

— L’élection aujourd’hui très probable de Michel Aoun à la présidence marque sans aucun doute une victoire pour l’alliance irano-syrienne d’autant plus que l’Arabie saoudite a renoncé depuis un bon moment à ses alliés au Liban. Le mouvement du 8 Mars estime, avec cet accord, récolter les fruits de la persévérance du régime syrien tout au long des 5 dernières années contre l’opposition armée en Syrie. Mais cette « victoire » ne sera complète que s’il y a des réformes constitutionnelles et politiques qui donneraient plus de pouvoir politique à la composante chiite du Liban. Il faut rappeler que la milice du Hezbollah est la seule qui possède les armes au détriment des sunnites et des chrétiens dans le pays. Reste à savoir si les sunnites et les chrétiens sont prêts à faire des concessions à ce sujet.

— Peut-on dire qu’en donnant son aval sur le nom de Michel Aoun, Saad Al-Hariri a ainsi présenté de grosses concessions ?

— Effectivement, Saad Al-Hariri s’est trouvé au pied du mur, il était coincé par le Hezbollah. Il ne pouvait rien faire d’autre pour s’assurer d’occuper à nouveau le poste de premier ministre : une concession sur la présidence pour devenir premier ministre. Mais être à la tête du gouvernement ne sera qu’un début d’un long conflit politique pour Saad Al-Hariri, puisqu’il devra composer avec la pression du Hezbollah qui, lui, a pour objectif de réduire les prérogatives du premier ministre. Aussi devra-t-il accepter l’implication du Hezbollah dans la guerre en Syrie aux côtés du régime. Ainsi, le risque de la radicalisation des sunnites au Liban pour contrebalancer la dominance des chiites est à mon avis très probable.

— Qu’en est-il de l’alliance du 14 Mars ? Quel sera son avenir politique suite à cet accord ?

— Pour le moment, le 14 mars considère qu’il a marqué un pas en avant en obligeant ses opposants du mouvement du 8 Mars à accepter l’accord sans pour autant imposer leurs conditions politiques qui devaient accompagner cet accord. Mais la composante principale du mouvement du 14 Mars souffre de frictions politiques, ainsi que de problèmes financiers majeurs. Je pense que les mois à venir vont témoigner d’un bras de fer entre l’alliance du 14 Mars, d’un côté, et Michel Aoun et le Hezbollah, de l’autre. Et j’imagine que ce bras de fer se terminera par la victoire du Hezbollah qui a une stratégie lucide face au mouvement du Futur de Saad Al-Hariri, lequel manque de cohésion.

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