Ankara a annoncé avoir déjà participé à la bataille. Bagdad a nié.
(Photo : AP)
Pendant que les forces iraqiennes tentaient, difficilement, de poursuivre leur avancée afin de reprendre Mossoul, deuxième ville du pays, des mains de l’Etat Islamique (EI), le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Ashton Carter, était dans la région pour parler de la bataille de Mossoul, mais aussi d’autres choses. En effet, Carter s’est rendu à Ankara, à Bagdad puis à Erbil, capitale du Kurdistan iraqien autonome. Il semble donc s’agir surtout de l’après-EI, notamment de la place que chaque force occupera. Car si la lutte contre Daech est une priorité à l’heure actuelle, l’après-Daech préoccupe tout autant. Pour preuve, la tension qui prévaut actuellement entre la Turquie et l’Iraq. Les deux pays sont à couteaux tirés depuis plusieurs semaines, avant même le lancement de la bataille de Mossoul, au sujet de la participation de la Turquie à cette bataille. Cette semaine encore, les différends ont éclaté au grand jour, malgré les tentatives de médiation menées par Ashton Carter. «
Je sais que les Turcs veulent participer, nous les en remercions, mais c’est quelque chose que nous, Iraqiens, allons gérer nous-mêmes ». C’est ce qu’a dit, fermement, le premier ministre iraqien, Haïdar Al-Abadi, suite à sa rencontre avec le chef du Pentagone. Des déclarations qui n’ont visiblement pas plu au premier ministre turc, Yildirim Binali, qui a qualifié les mots de son homologue iraqien de «
provocateurs », et qui a déclaré que son pays se tenait prêt à agir en Iraq, les promesses de Washington et Bagdad de ne pas faire participer les combattants kurdes et les milices chiites aux combats ne donnant pas satisfaction à la Turquie. «
Nous avons fait tous les préparatifs pour prendre les mesures nécessaires, parce que la promesse donnée par les Etats-Unis et l’Iraq sur le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) et les milices chiites qui ne prendraient pas part aux opérations ne nous satisfait pas pour l’instant », a-t-il déclaré. Le premier ministre turc a mis l’accent sur les inquiétudes concernant un éventuel changement dans la structure démographique de la région après l’opération de Mossoul, engendrant notamment le déplacement des 2 millions d’habitants de Mossoul et un nouveau flux migratoire conséquent vers la Turquie. «
Le risque de guerre confessionnelle peut sérieusement s’accroître. Nous avons une frontière de 350 km avec l’Iraq. Par conséquent, la Turquie ne peut rester indifférente face aux menaces terroristes provenant de l’Iraq, au flux migratoire, à une guerre confessionnelle qui peut éclater dans la région et aux massacres. Elle n’hésitera d’ailleurs aucunement à intervenir en cas de besoin », a assuré Yildirim.
Pour Ankara, l’enjeu est avant tout kurde, et surtout, le rôle grandissant que les Kurdes sont en train d’avoir, une menace selon Ankara, pour qui le PKK — qui risque de tirer profit du pouvoir des Kurdes iraqiens — est l’ennemi interne numéro un.
Question d’intérêts
Or, à ce sujet, la position américaine semble ambiguë. Le chef du Pentagone a rappelé à Erbil son soutien aux Peshmergas, les forces kurdes qui participent à la bataille. Certes, Carter a demandé aux forces kurdes de continuer d’agir en coordination avec l’armée iraqienne. Mais il n’a pour autant ni condamné, ni même ouvertement évoqué, le rôle turc. Pourtant, sur le sol, les Peshmergas se battent actuellement sur le front de Bachiqa au nord de Mossoul. Sur la montagne surplombant les combats, des canons turcs appuient les forces au sol. Et, dimanche dernier, le premier ministre turc a déclaré que l’artillerie turque a frappé des positions de l’EI à Bachiqa, après que les Peshmergas kurdes en ont fait la demande. Une information démentie le lendemain par Bagdad : officiellement en effet, les Peshmergas ne reçoivent aucun soutien des troupes turques installées non loin de là. Ces troupes avaient été pourtant invitées par le gouvernement régional du Kurdistan. Selon Ankara, quelque 700 soldats turcs entraînent sur cette base des combattants iraqiens pour les aider à reprendre les territoires du pays conquis par l’Etat islamique. Cela semble paradoxal, mais une certaine rivalité entre les Kurdes d’Iraq et ceux de Turquie avait conduit Erbil et Ankara à s’allier, une alliance sur laquelle Ankara comptait pour stopper toute progression du PKK en Iraq, et par la suite, un renforcement de ce parti en Turquie.
Par cette présence, Ankara entend protéger la communauté sunnite d’éventuelles exactions des milices chiites lors de la libération de la ville. « Nous nous opposerons à tout projet de conflit confessionnel centré sur Mossoul », a prévenu lundi 17 octobre le président turc. De plus, la ténacité de la Turquie à poser ses marques dans ce nord de l’Iraq s’explique par des raisons historiques : jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, cette région faisait partie de l’Empire ottoman. Par ailleurs, pour Ankara, il s’agit aussi d’une chance à ne pas manquer pour confirmer sa puissance et pour s’imposer comme acteur incontournable dans la région.
Face à ces velléités, Washington reste discret et tente surtout un jeu d’équilibriste pour ne pas froisser ni son allié turc, ni Bagdad, ni même Erbil.
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