Al-Ahram Hebdo : Selon vous, l’option militaire choisie par Damas et Moscou à Alep en ce moment indique-t-elle une renonciation à l’option politique à la faveur de la solution militaire ?
Névine Mossad : Je pense que la solution militaire en Syrie demeure invraisemblable. L’intensification des attaques des forces du régime soutenues par les Russes se situe dans le contexte de préparer le terrain à des négociations dans lesquelles le régime serait dans une position plus confortable. Car il est de toute évidence que la domination militaire au sol permet d’obtenir des gains politiques à la table de négociations. Dans ce contexte, il est nécessaire de rappeler que depuis le début des confrontations militaires à Alep en 2011, aucune des deux parties n’a pu remporter un avancée décisive sur l’autre. Par conséquent, les opérations militaires à Alep sont prévues dans le cadre de la préparation des négociations diplomatiques.
— Oui mais comment l’équilibre sur le sol peut-il changer ?
— Depuis l’intervention russe en Syrie, il y a un équilibre militaire entre les belligérants. Dans ce cadre, il faut noter que les deux parties savent très bien là où il faut contre-attaquer pour rétablir cet équilibre au cas où l’autre intensifierait sa pression. Cet équilibre est d’autant plus complexe que l’opposition et le régime alternent pression politique et pression militaire. En d’autres termes, quand l’opposition avance sur le plan militaire, le régime adopte une ligne politique plus rigide et vice-versa. Dans ces circonstances, la solution militaire n’est guère une option réaliste, ni pour le régime, ni pour l’opposition.
— Cela signifie-t-il que l’on risque de se diriger vers un partage de la Syrie ?
— Bien que la situation actuelle donne l’impression qu’il y a de facto un partage au sol, je pense que c’est une situation temporaire, liée aux opérations militaires au sol et qui ne peut aucunement durer. La composition démographique très complexe de la Syrie ainsi que la répartition géographique du peuple rendent très difficile le partage du pays en deux ou plusieurs Etats viables. A la différence de l’Iraq, il n’y a pas de démarcation géographique liée aux différences religieuses ou ethniques. Alep illustre d’ailleurs bien cette mosaïque, puisque toutes les confessions et ethnies y coexistent depuis des siècles. Ceci est également le cas à Hama, Homs, Lattaquié ainsi qu’à Damas. Je vois mal dans ces conditions les critères selon lesquels un plan de partage pourrait s’appliquer en Syrie.
— Selon vous, la mission de l’émissaire de l’Onu, Staffan de Mistura, est-elle devenue inutile depuis que les Russes et les Américains ont pris, seuls, l’affaire en main ?
— Il est normal, quand les différentes parties optent à un certain moment pour la guerre, que les efforts diplomatiques s’inclinent. A cette phase de la guerre en Syrie, tous les belligérants semblent préférer prolonger les confrontations militaires, ce qui pousse tous les acteurs à adopter des positions politiques ambiguës. A présent, il est très difficile de distinguer d’une façon précise par exemple la position exacte de la Turquie par rapport au conflit, ni les vrais objectifs des Etats-Unis et de l’Union Européenne (UE).
— Les résultats de la présidentielle américaine vont-ils changer quelque chose, surtout en cas de victoire du candidat républicain Donald Trump ?
— Trump est certes impulsif, mais il n’est aucunement prédisposé à s’allier avec les groupes islamistes extrémistes. Par conséquent, je pense que la Russie pourrait aisément trouver un terrain d’entente avec lui, s’il devenait président. Cela dit, avec son caractère extravagant et imprévisible, il reste toujours à craindre qu’il n'ait un malentendu avec le président russe, Vladimir Poutine, vu les ressemblances de caractère entre les deux leaders. Je crois que si Trump est élu à la Maison Blanche, la nature du conflit en Syrie va basculer au détriment de l’opposition islamiste.
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