Le général Haftar contrôle la zone pétrolière pour faire pression sur la communauté internationale.
(Photo:AFP)
Divisée en deux, voire en plusieurs camps, la Libye ne semble pas près de sortir du chaos. Il y a d’abord les combats entre les forces du Gouvernement libyen d’union nationale (GNA) et les djihadistes du groupe Etat Islamique (EI) retranchés à Syrte, qui ont repris depuis dimanche dernier, après quelques semaines de calme. Cette offensive pour reprendre la ville stratégique de Syrte, lancée depuis quatre mois, n’a toujours pas atteint son but. Les forces gouvernementales sont incapables de remporter cette bataille malgré le soutien de la communauté internationale et les raids aériens américains. Plusieurs fois annoncée comme imminente, la reprise de l’ex-bastion de l’EI en Libye se heurte à la détermination farouche des derniers djihadistes, désormais acculés dans une petite zone de la ville portuaire située à 450 km à l’est de Tripoli.
Cause de cette situation chaotique, il y a aussi les forces du gouvernement non reconnu de Libye qui se sont emparées, elles, des quatre terminaux du Croissant pétrolier. Les forces du général Khalifa Haftar, chef de l’armée liée aux autorités rivales du GNA basées dans l’Est, se sont en effet emparées de la zone du Croissant pétrolier Est située dans le nord-est du pays entre Benghazi et Syrte. « Nous avons pris le terminal de Brega sans combats grâce aux habitants et notables de Brega. Nous contrôlons désormais la totalité de la région du Croissant pétrolier », a affirmé à l’AFP un responsable des gardes des installations pétrolières pro-Haftar, Moftah Al-Magrif. Un coup dur pour le GNA, qui, d’un côté, perd le contrôle de ces installations cruciales pour l’économie du pays, et de l’autre, se trouve face à deux fronts. Or, les forces du GNA semblent incapables de combattre sur les deux fronts à la fois. Avant de prendre le contrôle du terminal de Brega, les forces du général Haftar s’étaient emparées, à l’issue de combats lancés la semaine dernière, du port de Zoueitina et des terminaux d’Al-Sedra et de Ras Lanouf, les deux plus importants du pays. Ces sites étaient sécurisés par les gardes des installations pétrolières, une milice de l’Est qui avait prêté allégeance cet été au GNA.
Cette bataille lancée par le général Haftar pour le contrôle du Croissant pétrolier est la première à opposer les forces de l’Est à celles du GNA. Elle révèle aussi les conflits et les divergences qui planent sur le pays. « Malgré la signature de l’accord de paix entre les partis en conflit en Libye, son application est difficile. En fait, les deux camps rivaux ont cédé aux pressions et ont été obligés de signer l’accord pour satisfaire la communauté internationale alors que les points de discorde existaient toujours. Le vrai enjeu dans la crise libyenne, ce sont les Libyens, avec à leur tête les chefs des tribus. Or, ces derniers refusent toute intervention étrangère, ils sont contre tout soutien ou toute aide accordés par la communauté internationale. Et, en même temps, ils ont des revendications et sont déterminés à les réaliser, par exemple, notamment en ce qui concerne le partage des richesses, des postes importants qu’ils veulent occuper, des privilèges qu’ils veulent obtenir, etc. Et, le conflit persistera jusqu’à la réalisation de leurs revendications », explique Dr Ayman Chabana, professeur à la faculté d’économie et de sciences politiques à l’Université du Caire. Selon lui, « certains Libyens estiment que le général Khalifa Haftar est la bouée de sauvetage, d’autres pensent que n’importe quelle autre solution est plus acceptable qu’une intervention étrangère. Alors, ils soutiennent Haftar pour réaliser leurs revendications ».
Quelle place pour Haftar ?
En effet, l’un des principaux désaccords entre les deux gouvernements rivaux est la place de Khalifa Haftar, un général septuagénaire qui a progressivement pris de l’importance depuis la révolte anti-Kadhafi. Considéré comme un obstacle majeur dans l’application de l’accord de paix, le général Haftar ne reconnaît ni le GNA ni cet accord signé fin 2015 au Maroc sous l’égide de l’Onu, selon lequel le gouvernement d’union a été créé et qui met à l’écart cette personnalité controversée. La prise des terminaux pétroliers pourrait constituer, pour Haftar, un moyen de pression sur les Nations-Unies pour qu’elles amendent, avec le GNA, l’accord de 2015 et intègrent ainsi ce général dans le jeu politique libyen.
Déjà, le général Khalifa Haftar mène depuis 2014 une opération militaire aux résultats incertains pour « libérer » Benghazi, devenue un fief de milices islamistes lourdement armées. Pour cela, il bénéficierait du soutien, non déclaré, de pays étrangers. Pour soutenir Haftar, le président du parlement libyen, une instance reconnue par la communauté internationale mais qui soutient le gouvernement basé dans l’Est, a déclaré que l’offensive sur le Croissant pétrolier visait à libérer les installations pétrolières de ceux qui entravent l’exportation du pétrole libyen. « L’armée va se retirer des champs et des terminaux et il n’y aura plus d’éléments armés à l’intérieur », a assuré Aguila Saleh, disant que les exportations reprendraient via la Compagnie nationale libyenne du pétrole. Une reprise des exportations pétrolières, dont les recettes représentent une part importante du budget de l’Etat, est cruciale pour la Libye qui, outre la profonde instabilité sur le plan politique et de la sécurité, fait face à une crise des liquidités.
Quant au chef du GNA, Fayez Al-Sarraj, il a appelé toutes les parties à se réunir d’urgence autour d’une même table pour discuter d’un mécanisme permettant de sortir de la crise. Le gouvernement dirigé par le premier ministre Sarraj n’a pas réussi jusqu’à présent à faire reconnaître son autorité sur l’ensemble de la Libye, un pays plongé dans l’instabilité depuis la chute du régime de Muammar Kadhafi en 2011. « Le GNA a échoué d’assumer le contrôle du pays et de devenir représentant légitime des Libyens. Il est incapable de rassembler la force militaire suffisante pour sécuriser les villes, les citoyens et ses intérêts économiques. A cet égard, le gouvernement de Sarraj perd ses partisans », explique Dr Chabana. Ainsi, Sarraj apparaît affaibli par ce revers militaire et contesté au sein même du gouvernement d’union. Déjà, les deux vice-premiers ministres, Ali Al-Qatrani et Fathi Al-Majbari, ont proclamé leur soutien à l’offensive lancée par Haftar. Une situation compliquée qui menace le pays de retourner loin en arrière. L’incapacité de la Libye à sortir de sa crise politique inquiète particulièrement les pays européens, confrontés à l’afflux des migrants traversant la Méditerranée depuis son littoral.
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