Essid dénonce une manoeuvre pour se débarrasser de lui.
(Photo:AFP)
C’est une mission difficile qu’a entamée cette semaine le président tunisien, Béji Caïd Essebsi : engager des consultations qui devraient durer au maximum dix jours pour charger la « personnalité la plus apte » de former un nouveau cabinet. Cette dernière (aucun nom ne circule pour le moment) aura 30 jours pour former une équipe. Ceci est intervenu après un vote de défiance au parlement, qui a écarté samedi dernier le premier ministre sortant, Habid Essid. Ce dernier n’était pourtant à la tête du gouvernement que depuis 18 mois. Sur les 217 membres du parlement (dont 191 étaient présents), 118 ont voté contre le renouvellement de la confiance et trois pour, avec 27 abstentions.
Tout en saluant l’« intégrité » de M. Essid, de nombreux députés ont brossé un sombre tableau de son bilan, critiquant notamment la faiblesse de la lutte contre la corruption et le chômage. M. Essid s’est fermement défendu, mettant en avant les progrès réalisés sur le plan sécuritaire notamment. Si la Tunisie a été frappée par des attentats djihadistes sanglants l’an dernier et en mars, elle a vécu cette année son premier Ramadan sans attaque depuis 2012. « Le gouvernement a fait son devoir dans plusieurs domaines (...) mais il y a des domaines dans lesquels on ne peut arriver à des résultats concrets en un an et demi », a argué M. Essid, haut fonctionnaire sous l’ex-raïs Zine El Abidine Ben Ali. Le chef du gouvernement a aussi tenu à placer les partis devant leurs responsabilités, rappelant à certains qu’ils avaient cherché à privilégier leurs intérêts plutôt que les compétences pour des nominations à des postes à responsabilité. « Je tenais à exposer les choses au peuple et aux députés », a-t-il résumé. Désormais, le gouvernement est considéré comme démissionnaire, même s’il va continuer à gérer les affaires courantes.
De nombreux élus dont ceux du Front populaire, une coalition d’opposition de gauche, ont annoncé juste avant le vote qu’ils le boycotteraient en dénonçant un processus « de pure forme ». Le résultat était en effet connu d’avance, les partis de la coalition au pouvoir mais aussi de l’opposition ayant annoncé qu’ils ne renouvelleraient pas leur confiance à cette équipe.
Le vote de samedi dernier ne constitue donc pas de surprise, vu le blocage politique que traverse la Tunisie. En effet, les jours du gouvernement Essid, critiqué de toutes parts pour son inefficacité, étaient comptés depuis que le chef de l’Etat s’est dit en faveur, le 2 juin dernier, d’un cabinet d’union nationale. Habib Essid, qui n’avait pas été informé de l’initiative par le chef de l’Etat, avait d’abord dit être prêt à démissionner si l’intérêt de la Tunisie l’exigeait. Il a ensuite annoncé qu’il ne partirait que si le parlement lui retirait sa confiance. Même si, pendant ce temps, Béji Caïd Essebsi avait ensuite engagé des pourparlers sur les priorités du futur gouvernement avec les partis politiques ainsi qu’avec le syndicat UGTT et le patronat Utica.
Incertitude
Le vote du parlement tunisien ouvre une grande période d’incertitude politique. Son successeur devrait être capable de s’imposer politiquement pour accélérer l’action gouvernementale, mais sans être partisan ni contrarier la volonté de Béji Caïd Essebsi de présidentialiser le régime. Ce qui est certain, c’est que Béji Caïd Essebsi est déterminé à tout boucler le plus tôt possible afin que le nouveau gouvernement soit en place avant la fin août au plus tard. Mais politiquement parlant, la situation n’est pas des meilleures. Le premier ministre sortant ne s’est d’ailleurs pas privé de souligner le rôle déstabilisant des divisions au sein de Nidaa Tounès, incapable, selon lui, de lui fournir l’appui politique et l’efficacité parlementaire dont il avait besoin.
La presse tunisienne s’est également montrée préoccupée par la suite. « Il serait naïf de penser que le sauvetage du pays est tributaire d’un gouvernement d’union nationale, a ainsi jugé Le Quotidien. C’est dire que l’après-Essid ne s’annonce guère (être) une promenade de santé ». « Tiraillements entre partis à l’horizon et danger de glissement vers un chaos politique », a ainsi averti le journal Assahafa. « La situation du pays va s’aggraver encore davantage parce qu’il faut attendre (...) un nouveau gouvernement. Entre-temps, c’est le pays, l’économie, les affaires du peuple qui sont laissés pour compte », a de son côté dénoncé Jilani Hammami, un dirigeant du Front populaire.
Cible des terroristes et en proie à une crise économique durable, la Tunisie doit plus que jamais prouver au monde qu’elle a réussi sa transition démocratique, opérée depuis 2011 après la chute de Ben Ali. Seul point positif, le vote de défiance du parlement est, pour certains analystes, un signe de vitalité pour la jeune démocratie tunisienne.
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