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Daech joue le nord de la Syrie

Abir Taleb et Maha Salem, Mardi, 31 mai 2016

Alors que le groupe Etat islamique subit une offensive majeure dans la province de Raqqa, au centre de la Syrie, il avance dans le nord. Une façon de prouver qu’il reste puissant.

Daech joue le nord de la Syrie
Daech résiste malgré ses récentes défaites. (Photo : AP)

On le dit en difficulté, voire en recul, certains prédisent même sa fin prochaine, pourtant, le groupe Etat Islamique (EI) n’est pas près d’être totalement vaincu, malgré les frappes aériennes de la coalition qui durent depuis plus d’un an et demi (voir encadré) et malgré les combats menés sur le terrain contre lui. En effet, un coup de théâtre a eu lieu le week-end dernier : vendredi 27 mai les djihadistes de l’EI se sont emparés de territoires au nord. Après en avoir été repoussé le mois dernier, l’EI a ainsi contre-attaqué et pris l’ascendant dans cette région située au nord d’Alep, près de la frontière turque. L’EI se rapproche ainsi de la ville d’Azaz. Or, c’est par cette ville que transitent les combattants soutenus par des pays étrangers qui affrontent les djihadistes. En clair, cela signifie que les partisans de l’Etat islamique resserrent l’étau autour des rebelles. Pourtant, le mois dernier les djihadistes avaient perdu cette région.

Cette offensive est la plus notable dans la province d’Alep depuis deux ans, où l’EI et les rebelles se battent pour prendre le contrôle d’une parcelle de quelques dizaines de kilomètres carrés entre Alep et la frontière turque. Le contrôle de cette dernière est un enjeu essentiel pour chacun des camps en présence. Des combats opposent régulièrement et depuis des mois la rébellion aux djihadistes de l’EI. Mais aucune force n’avait jusqu’ici pris un avantage décisif sur l’autre. Outre la région d’Alep, les forces de l’EI ont à nouveau avancé la semaine dernière en direction de Palmyre. Elles ont quasiment encerclé la ville en coupant la route principale vers Homs.

Toutes ces batailles ne sont pourtant pas tranchées et la situation n’est pas la même sur l’ensemble du territoire syrien. En effet, l’offensive de Daech près d’Alep est intervenue au moment où une autre offensive a été lancée, mais cette fois contre lui. Une façon pour l’EI de riposter et de dire qu’il existe et qu’il contrôle d’autres régions. Il s’agit de l’offensive pour chasser l’EI de son fief syrien de Raqqa. L’annonce faite la semaine dernière par les Forces démocratiques syriennes, regroupement arabo-kurde appuyé par la coalition menée par les Etats-Unis, est intervenue au lendemain d’une visite secrète du chef des forces américaines au Moyen-Orient, le général Joseph Votel, dans le nord de la Syrie. La Russie s’est aussitôt manifestée à son tour, en se disant prête à coordonner l’opération avec Washington et les Kurdes.

Le timing n’est pas anodin : cette annonce a été faite alors qu’en Iraq, le gouvernement a lancé sa bataille pour la libération de Fallouja, considérée comme une étape primordiale pour celle de Mossoul (voir article page11). En effet, la compétition pour la conquête des places fortes et emblématiques de Mossoul et de Raqqa, respectivement capitales syrienne et iraqienne de l’EI, est lancée depuis un moment.

Messages contradictoires

Toutes ces informations venues du terrain lancent des messages parfois contradictoires sur la réelle force de Daech. Serait-il en recul ou non ? Qu’en est-il de sa véritable capacité de nuisance ? Comment parler d’un recul alors que les attentats revendiqués par Daech ne manquent pas (mardi 24 mai, plus de 150 personnes ont été tuées par l’explosion de sept voitures piégées dans deux localités côtières de l’ouest de la Syrie, bastions du régime, la veille, un double attentat avait tué une quarantaine de militaires à Aden, au Yémen) ?

Autant de questions aux réponses souvent contradictoires. Il y a ceux qui estiment que Daech commence vraiment à souffrir de la guerre menée contre lui depuis près de deux ans par toutes les puissances mondiales et locales. Pour preuve, son territoire en Syrie comme en Iraq s’est réduit. Selon des estimations du Pentagone rendues publiques le 16 mai dernier, l’EI aurait perdu « environ 45 % » du territoire qu’il avait réussi à conquérir en Iraq. « Le chiffre pour la Syrie est compris quelque part entre 16 et 20 % ». Des pertes significatives, certes, mais insuffisantes pour affliger une véritable défaite à l’EI. « A l’heure actuelle, des pressions sont exercées ça et là sur l’EI pour l’étouffer. Mais le chemin reste long pour le détruire. Il est vrai que les combats sur le terrain traînent en longueur, mais toute victoire, même modeste, est un indice très important. Ces mini-victoires prouvent tout de même que la puissance de Daech se limite de plus en plus », estime l’expert Ahmad Youssef, professeur à la faculté de sciences politiques et économiques de l’Université du Caire et directeur de l’Institut des études arabes.

Or, ce qu’il ne faut pas négliger, c’est que le groupe Etat islamique est le premier mouvement terroriste à avoir une emprise territoriale. Aucun mouvement terroriste n’avait proclamé de califat. Une nouveauté qui suscite les craintes, mais aussi des espoirs. « C’est son point faible : si ce territoire tombe, c’est le mythe du califat qui tombe. Il ne restera plus que la lutte djihadiste, comme les autres mouvements : Al-Nosra ou Aqmi », a déclaré le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire en Iraq auprès de l’Onu, mardi 24 mai sur France Info.

Or, selon Dr Hassan Nafea, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire et conseiller de la revue Politique internationale, « depuis sa création, la coalition internationale anti-Daech a eu pour objectif de freiner son avancée et non de le détruire ». Car, explique l’expert, « les pays membres de la coalition veulent avant tout protéger leurs propres intérêts. Et, la position de chacun d’eux varie selon ses objectifs. Ce qui fait que c’est une coalition très fragile. Certains pays prétendent qu’ils sont en guerre contre Daech alors qu’ils lui fournissent armes et financements. D’autres lui achètent pétrole et antiquités ». Avis partagé par Dr Ahmad Youssef : « Chacun a ses propres buts. Par exemple, l’intervention russe vise à soutenir le régime et non à détruire Daech ».

L’affaiblir sans le détruire. Tel semble donc être l’objectif recherché par les puissances occidentales, en attendant de se mettre d’accord sur la résolution des crises régionales. « Tout dépend de l’Occident et sa capacité à régler les crises dans le monde arabe. Si on arrive à régler les crises syrienne et iraqienne, les conditions seront convenables pour combattre Daech. Et puis, l’expérience a prouvé que l’Occident a, au fond, toujours favorisé l’existence de ces mouvements dans le monde arabo-musulman pour réaliser ses buts et, par la suite, il commence à les combattre, une fois qu’ils commencent à le menacer sur son propre territoire ». En effet, c’est là la nouvelle stratégie de l’EI. « Si Daech commet des attentats en Europe, c’est pour dire qu’il existe toujours et qu’il est encore capable de pénétrer le coeur des pays européens. C’est une sorte d’autodéfense, des messages envoyés à ses alliés pour le soutenir et remonter le moral de ses membres. C’est en quelque sorte son dernier souffle, une guerre des nerfs ». Une guerre des nerfs qu’il ne faut pourtant pas négliger : samedi dernier, l’EI a diffusé un nouveau message audio appelant à commettre des attaques contre l’Occident pendant le Ramadan.

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