Face à la vague de contestation populaire contre lui, le premier ministre, Haider Al-Abadi, n’a pas d’alternative : il doit réaliser des succès contre Daech. C’est dans ce cadre qu’il a lancé cette semaine une opération militaire pour reprendre au groupe djihadiste Etat Islamique (EI) la ville de Fallouja, à 50 kilomètres de Bagdad. «
Le drapeau iraqien sera hissé et flottera haut au-dessus des terres de Fallouja », a affirmé le premier ministre. Selon M. Abadi, des soldats, des membres des forces spéciales, de la police, des milices et des tribus pro-gouvernementales vont participer aux opérations pour reprendre la ville. Cependant, reprendre ce bastion djihadiste, hors de contrôle du gouvernement depuis près de deux ans et demi, s’annonce comme l’une des plus difficiles dans la guerre iraqienne menée contre l’EI.
Or, parallèlement à ce défi qu’il s’est lui-même lancé, Abadi affronte depuis plusieurs semaines une vague de protestation populaire. Pour la deuxième fois en trois semaines et comme signe de contestation, les partisans du chef chiite Moqtada Al-Sadr ont envahi la zone verte ultrasécurisée de la capitale iraqienne et ont réussi à occuper brièvement le bureau du premier ministre. Des affrontements ont eu lieu vendredi dernier entre les manifestants en colère et les forces de sécurité, qui tentent de les garder hors de la zone verte, abritant les bâtiments gouvernementaux et des ambassades. Deux manifestants ont été tués et au moins 58 ont été blessés, dont des membres des forces de sécurité, selon des sources de sécurité.
Aggraver la tension
Les deux victimes de vendredi sont les premières du mouvement de protestation qui dure depuis plusieurs mois, mené par le dignitaire chiite Moqtada Al-Sadr, qui jouit d’une forte popularité auprès d’une partie des Iraqiens, notamment les chiites, excédés par la classe politique. Ces événements vont aggraver la tension entre Haider Al-Abadi et Sadr, surtout que ce dernier a soutenu cette deuxième intrusion. « Aucune partie n’a le droit d’empêcher ça. Sinon, la révolution prendra une autre forme », a averti Sadr, qui réclame depuis des semaines des réformes visant à lutter contre la corruption, le népotisme et le clientélisme. A son tour, Abadi a déclaré que « prendre d’assaut des institutions de l’Etat (...) ne peut être accepté ». Mais il a dit soutenir « les revendications des manifestants pacifiques ».
Un soutien jugé insuffisant. Selon des observateurs, cette intrusion révèle une hardiesse qui s’accroît sur le gouvernement de Haider Al-Abadi, et pourra ouvrir l’appétit de différentes autres parties de contester. De plus, l’échec des forces de sécurité d’empêcher les derniers attentats criminels renouvelés, qui ont frappé les zones contrôlées par les Sadristes à Bagdad, a suscité la colère d’une grande partie des chiites, d’autant plus que le ministre de l’Intérieur appartient à l’organisation chiite Badr. Le centre iraqien Al-Rawabet des études politiques et stratégiques a souligné que l’intrusion de cette façon choquante et pour la deuxième fois « signifie que le désespoir a atteint son paroxysme ».
Selon des analystes, face à cette grogne grandissante, Abadi doit intensifier sa lutte contre Daech avec le soutien de Washington, afin d’absorber la colère populaire. En outre, le centre a souligné dans son récent rapport que l’Alliance nationale (une coalition des partis chiites au pouvoir) a complètement échoué à s’unir et établir un dialogue pour mettre fin aux différences, ce qui signifie que le conflit chiite-chiite, qui a été reporté pendant des années sous la pression iranienne, revient sur scène. Voire, une recrudescence est prévisible. « Un nouveau cycle de violence pourrait atteindre un niveau sans précédent, en raison de l’accumulation d’armes et de leur abondance, notamment parmi certains groupes armés qui ont profité de la guerre contre Daech pour se regrouper et se réarmer », estime le centre dans un récent rapport. Reste à savoir si les grands acteurs en Iraq (Iran et Etats-Unis) vont laisser la situation s’aggraver de cette façon, ou exercer davantage de pression sur les parties et les milices qu’ils protègent pour contenir la crise.
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