39 tentatives, 39 échecs. Depuis que le mandat de l’ancien président, Michel Sleimane, s’est achevé le 25 mai 2014 sans que soit élu son successeur, le Liban est sans président. Certes, au pays du Cèdre, le président a constitutionnellement peu de prérogatives, quand le premier ministre est la vraie tête de l’exécutif. Certes aussi, ce n’est pas une première dans la vie institutionnelle du pays : à deux reprises déjà, le poste de président de la République est resté inoccupé vacant. D’abord, pendant un peu plus d’un an, après le mandat d’Amine Gemayel (1982-1988), puis pendant six mois, après celui d’Emile Lahoud (1998-2007). Cela dit, jamais la vacance n’a été aussi longue, les négociations entre les acteurs politiques libanais aussi ardues, et le contexte régional aussi explosif. Pendant ces deux années, toutes les tentatives ont été vouées à l’échec — la dernière date du 11 mai —, avec chaque fois le même scénario : le parlement libanais ne parvient pas à effectuer le vote faute de réunir le quorum stipulé par la Constitution. Cette absence de quorum étant elle-même due aux divergences aiguës entre les différentes forces politiques.
Dans une tentative de sortir de la crise, le président du parlement libanais, Nabih Berri, a lancé, la semaine dernière, une initiative appelant à écourter le mandant actuel de l’assemblée, dont l’échéance est en juin 2017, et à organiser des élections législatives anticipées. Selon un communiqué du parlement libanais, l’initiative de Berri sera examinée lors d’une séance le 21 juin prochain. « L’initiative prévoit la possibilité d’écourter la durée du mandat de la Chambre des députés, d’organiser des élections législatives anticipées, de former un nouveau gouvernement puis d’élire le président de la République », ajoute le communiqué.
Mais pour l’heure, rien ne garantit que la proposition de Nabih Berri aboutisse à quelque chose, vu que les différents acteurs politiques libanais n’y ont toujours pas réagi, et surtout, que les dissensions à l’origine du blocage du vote restent telles quelles. Ces dissensions opposent les deux camps adverses : le mouvement du 8 Mars pro-syrien et avec à sa tête le puissant Hezbollah aux côtés de son allié chrétien, le Courant patriotique libre de l’ancien général Michel Aoun, et celui du 14, anti-syrien et qui regroupe une alliance de partis pro-occidentaux et pro-saoudiens avec à leur tête le leader sunnite Saad Al-Hariri. Et, à chaque tentative de réunir le parlement, c’est l’absence des députés du 8 Mars qui provoque un défaut de quorum. Ce qui équivaut à dire que c’est le Hezbollah qui bloque le choix d’un futur président.
Origines du blocage
Au départ, le défaut de quorum visait à barrer la route à l’accession à la présidence du chef du parti chrétien des Forces libanaises, Samir Geagea, allié au sein de la coalition anti-syrienne du 14 Mars à l’ancien premier ministre Saad Hariri, proche de l’Arabie saoudite. Geagea avait présenté sa candidature pour barrer la route de la présidence à Michel Aoun, qui était, en 2014, en négociation secrète avec Hariri pour parvenir à un accord.
Mais depuis, la situation a évolué. Fin 2015, suite à des négociations, Saad Hariri a apporté son appui à la candidature à Sleiman Frangié, leader d’un petit parti chrétien du 8 Mars, en pensant que cette initiative permettrait de débloquer l’élection présidentielle. Le choix de cette personnalité a provoqué un grand choc au sein des milieux anti-syriens, qui n’ont pas compris comment Saad Hariri pouvait soutenir la candidature de l’ami personnel du président syrien Bachar Al-Assad et de l’un des plus fidèles alliés du Hezbollah. Selon les analystes, le marché entre les deux hommes aurait prévu qu’en contrepartie, le 8 Mars appuierait le retour de Hariri à la tête du gouvernement, poste réservé à la communauté sunnite, et dont Hariri avait été évincé en janvier 2011. Autre garantie qui aurait été donnée à Hariri : le système politique libanais, qui donne un poids important à la communauté sunnite, ne serait pas réformé.
Un autre nom a ensuite circulé à nouveau, celui de Michel Aoun. Mais au lieu de faciliter l’élection présidentielle, l’initiative de Saad Hariri l’a compliquée davantage, notamment en provoquant des dissensions au sein de chaque camp. Par exemple, Michel Aoun a estimé que la présidence devait lui revenir et, par conséquent, a refusé de se retirer au profit de Frangié, qui fait pourtant partie du bloc parlementaire qu’il dirige. En même temps, Samir Geagea a très mal pris le fait que son allié sunnite, Saad Hariri, a entamé derrière son dos des discussions avec son pire ennemi, alors qu’il était lui-même candidat. En réaction, pour barrer la route à Frangié, Samir Geagea annonce son soutien à Aoun.
Depuis le début de cette année donc, la situation est la suivante : Samir Geagea et Saad Hariri, qui sont en principe alliés, soutiennent deux candidats différents, tous deux proches du Hezbollah et de la Syrie.
Tout cela au profit du parti chiite, dont la position suscite les interrogations. Pourquoi le parti chiite n’a-t-il pas facilité l’un ou l’autre des deux choix ? La réponse est que la véritable préoccupation du Hezbollah ne concerne pas le chef de l’Etat, mais celui du prochain gouvernement, le véritable chef de l’exécutif. D’où le refus du deal Frangié-Hariri. Selon les observateurs, le Hezbollah ne donnera son feu vert qu’une fois sûr de gagner à la fois la présidence de la République et la tête du gouvernement.
Reste un dernier point tout aussi important : si le blocage de l’élection présidentielle résulte des désaccords internes, c’est aussi la résultante du conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran, chacun ayant ses pions au Liban.
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