Plus de 250 civils ont été tués en quelques jours à Alep, deuxième ville syrienne, en proie à des bombardements massifs de la part du régime. Face à l’intensité des frappes, des dizaines d’habitants de la partie contrôlée par les rebelles à Alep fuient quotidiennement leurs quartiers pour échapper aux nouveaux raids aériens du régime. Une situation qui s’aggrave jour après jour. Et qui a poussé le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, à arriver à Genève pour rétablir un cessez-le-feu dans toute la Syrie. En effet, Kerry s’est entretenu avec l’envoyé spécial de l’Onu pour la Syrie, Staffan de Mistura, et le coordinateur de l’opposition syrienne, Riad Hijab, ainsi que ses homologues saoudien Adel Al-Jubeir et jordanien Nasser Judeh au sujet d’un cessez-le-feu, mais aussi sur les moyens de soutenir une transition politique pour mettre fin à cette guerre civile. Mais tous ces entretiens n’ont pas permis de rétablir la trêve.
En première réaction à cette visite, le chef du principal groupe d’opposition syrien a estimé que les chances d’une solution politique en Syrie étaient en danger à moins que la communauté internationale ne fasse pression sur le régime de Damas. « Le régime n’est pas réellement intéressé par une solution politique, et ils ne sont pas réellement intéressés par une cessation des hostilités », a déclaré Anas Al-Abdeh, chef de la Coalition nationale syrienne. « A moins que la communauté internationale ne fasse quelque chose, la perspective d’une solution politique est en danger », a ajouté le responsable de l’opposition après l’Assemblée générale à Istanbul de la principale plateforme de l’opposition syrienne.
Par ailleurs, Ahmad Al-Halabi, un opposant qui vit encore à Alep et témoin de tous les événements, décrit la situation comme étant « une guerre féroce ». « Alep est entre des feux croisés. Les bombardements sont commis par deux camps : le régime d’un côté et l’autre camp regroupe le Front Al-Nosra et les Frères musulmans. Ces derniers sont soutenus par les armes turques et ils possèdent des armes de longue et courte portée capables de riposter et de détruire toute la ville. Chaque camp veut imposer sa force armée et les civils syriens sont les victimes ». Près de 200 000 habitants résideraient dans la partie rebelle, à l’est de cette ville divisée depuis 2012, entre le régime et les rebelles.
En revanche, une certaine partie de l’opposition jette toute la responsabilité sur Bachar et son régime. Qassem Al-Khateb, porte-parole du mouvement syrien Al-Ghad, a expliqué que le régime syrien profite de l’appui russe pour mener des raids massifs et pour gagner plus de terrain. « Ces raids sont commis par les forces du régime et ses alliés russes et iraniens, ce sont eux seuls qui possèdent une force aérienne. Ni l’opposition ni Daech n’ont de missiles à long terme, en plus, Daech n’est pas présent à Alep ». Selon lui, Bachar ne veut aucun règlement politique, car il sait bien qu’il n’a pas de place dans la période de transition. « Avec ces raids, Bachar renforce son pouvoir pour devenir plus puissant et plus fort, il essaye de contrôler une vaste surface de terrain pour, lors des négociations, posséder la haute main et obliger l’opposition à céder, présenter des concessions. Mais l’opposition veut l’application des résolutions onusiennes et des accords signés à Genève 1 et 2, qui insistent sur un règlement politique et une transition dirigée par l’opposition et les personnes modérées du régime. La communauté internationale doit exercer une forte pression sur Bachar, lui présenter des solutions pour établir ce règlement politique. La Russie doit soutenir et aider les Syriens et non leur président », explique Qassem Al-Khateb.
Complicité russe
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Guennadi Gatilov, a déclaré que la Russie ne demanderait pas au régime de Damas de cesser ses bombardements sur la région d’Alep. Des déclarations choquantes pour l’opposition qui comptait sur une révision des positions russes. « La Russie ne fait pas ce qu’elle est supposée faire, à savoir exercer une pression suffisante sur le régime de Damas pour qu’il fasse preuve de retenue et cesse de viser des civils. Il est évident que la Russie soutient toujours le régime, et qu’elle soutient la politique d’agression contre le peuple syrien du régime », a ajouté Anas Al-Abdeh. Pour ce dernier, c’est aux Etats-Unis, engagés dans d’intenses pourparlers avec la Russie, de trouver une solution en Syrie, que revient la tâche de sauver le processus de paix de Genève après les derniers combats. « Les Américains savent très bien qu’ils doivent faire quelque chose de spécial pour faire renaître le processus politique en Syrie et remettre sur les rails les négociations politiques. J’espère que les Américains le feront, car autrement, tous les efforts déployés au cours des derniers quatre mois l’auront été en vain », a ajouté l’opposant.
Un nouveau round de négociations doit commencer le 10 mai à Genève. Et Bachar et son régime feront tout leur possible pour entraver la tenue de ce round ou au moins avoir une position forte et puissante avant la date prévue pour la poursuite des négociations de paix. Ce nouveau round portera sur l’application de deux importants articles dans l’accord de Genève 1 et 2. Tout d’abord, la formation d’un gouvernement d’union nationale dont le but initial sera de protéger les institutions de l’Etat. Le deuxième article portera sur le transfert du pouvoir de certaines institutions sécuritaires comme les ministères de la Défense et de l’Intérieur, ils seront sous le contrôle de l’opposition. « On insiste sur l’application de ces articles. Car une fois ceux-ci appliqués, la guerre s’arrêtera, l’opposition contrôlera les armées et la police. Ce qui fait que Bachar a peur du prochain round, car la communauté internationale risque d’exercer une forte pression sur les alliés de Bachar pour appliquer ces articles », explique Qassem Al-Khateb.
Mais les pressions internationales ne sont pas suffisantes, car un accord américano-russe prévoyant un arrêt des combats sur deux fronts en Syrie est entré en vigueur samedi dernier, mais il exclut la ville d’Alep. L’accord porte sur deux fronts : le nord de la région de Lattaquié, un fief du régime dans l’ouest du pays, et la Ghouta orientale, une région rebelle à l’est de Damas. Cependant, à Alep, les deux pays ne sont pas arrivés à un accord.
Des chiffres qui annoncent une catastrophe
Plus de 80 % de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté dans la Syrie ravagée par cinq ans de conflit, selon l’étude « Syrie en guerre » publiée cette semaine par l’Onu et l’Université Saint Andrews en Ecosse. La pauvreté a explosé en raison de la guerre sanglante qui a fauché la vie de plus de 270 000 personnes depuis 2011, révèle ce document rédigé par la Commission économique et sociale de l’Onu pour l’Asie occidentale (ESCWA) et par le Centre pour les études syriennes de Saint Andrews. Ainsi, 83,4 % des habitants vivent actuellement en dessous du seuil de pauvreté contre seulement 28 % avant le conflit.
Fin 2015, 13,5 millions de personnes, dont 6 millions d’enfants, avaient besoin d’une aide humanitaire contre un million en juin 2012. Parmi eux, plus de 4 millions vivent à Damas et sa province, ainsi qu’à Alep, la deuxième ville du pays.
En outre, la population ayant accès à l’éducation est passée de 95 % à 75 % en raison de la destruction des écoles et du manque d’enseignants. Le total des effectifs dans le primaire est même passé de 98,2 % en 2010 à 61,5 % en 2015. En matière de santé, le bilan est encore plus catastrophique. Sur les 493 hôpitaux existant en 2010, 170 (34 %) sont hors service et 69 (14 %) ne fonctionnent plus que partiellement. Par ailleurs, les attaques contre les médecins et pharmaciens ont contraint un grand nombre d’entre eux à l’exil. Auparavant, il y avait un médecin pour 661 habitants. En 2015, il n’y en a plus qu’un pour 1 442.
Le taux de mortalité est passé de 3,7 % pour 1 000 en 2010 à 10 % en 2015 avec des pointes de 12,4 pour 1 000 dans les provinces très touchées par la guerre comme Alep, Deraa, Deir Ezzor, Idleb ou Damas. La quantité d’eau potable a chuté de 72 m3 par habitant en 2011 à seulement 48 m3 en 2015. Quant à la part de la population bénéficiant de stations de traitement des eaux, elle est tombée de 52 % à 9 % en 2015. L’étude révèle également que l’économie syrienne s’est contractée de 55 % entre 2010 et 2015. Quant au montant des destructions des logements et des infrastructures, il tourne autour des 90 milliards de dollars (79 milliards d’euros). Dans l’agriculture, le constat est terrifiant. Entre 2010 et 2015, le Produit intérieur brut agricole a baissé de deux tiers (60 %) et les surfaces cultivables ont été réduites de 6 millions à 3,6 millions d’hectares, provoquant une hausse considérable des prix des produits agricoles. Les prix de la farine et du blé se sont ainsi accrus respectivement de 388 % et 723 % depuis 2011.
AFP
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