L'invasion du parlement par des partisans du chef chiite Moqtada Al-Sadr a envenimé la situation politique en Iraq.
(Photo:AP)
Pour la première fois depuis le début des protestations populaires à Bagdad en février dernier, des milliers de manifestants, dont la plupart des partisans du chef chiite Moqtada Al-Sadr, ont envahi samedi dernier le parlement, institution située en Zone verte, le quartier ultra-sécurisé de Bagdad où se trouvent également les bureaux du premier ministre et des ambassades dont celle des Etats-Unis. A l’origine de ce débordement, le nouvel échec des parlementaires à approuver le nouveau gouvernement de technocrates proposé par le premier ministre Haider Al-Abadi. «
C’est nous qui dirigeons ce pays à présent ! Le temps de la corruption est révolu », a lancé un manifestant cité par l’
AFP, alors que la foule remplissait l’hémicycle. «
Vous ne resterez pas ici ! Ceci est votre dernier jour dans la Zone verte ».
L’agitation a débuté quelques minutes après une conférence de presse de l’influent chef chiite Moqtada Al-Sadr dans la ville sainte chiite de Najaf. Il a condamné l’impasse politique sans toutefois ordonner à ses partisans d’entrer dans la Zone verte. Les hommes politiques « ont refusé de mettre un terme à la corruption et aux quotas », a dénoncé Al-Sadr. Il a affirmé que ses partisans et lui-même ne participeraient à « aucun processus politique dans lequel il y a une quelconque sorte (...) de quotas sur les partis ». Al-Sadr a aussi indiqué qu’il allait débuter un nouveau soulèvement populaire.
Aussitôt après ces débordements, des mesures ont été immédiatement prises par le gouvernement pour renforcer la sécurité autour de la Zone verte, et un état d’urgence a été annoncé dans la capitale avant que les manifestants ne se retirent du siège du parlement. Le président a appelé à une réunion d’urgence avec le premier ministre et le président du parlement pour discuter ses dernières évolutions et la formation du nouveau gouvernement.
Réformes cruciales
Les postes-clés au gouvernement sont depuis des années partagés sur la base de quotas politiques et sectaires, une pratique avec laquelle les manifestants veulent en finir. M. Al-Abadi, un élu chiite arrivé au pouvoir en septembre 2014, tente depuis des semaines de faire approuver par le parlement une équipe gouvernementale composée de technocrates. Cette dernière pourra, selon lui, mener de manière plus efficace des réformes cruciales pour lutter contre la corruption. Mais un certain nombre de politiciens s’y opposent redoutant de perdre leurs avantages.
Mardi 26 avril, les députés avaient approuvé une partie des candidats proposés lors d’une séance houleuse qui a vu des parlementaires jeter des bouteilles en direction du premier ministre. « Le parlement et le gouvernement (...) défendront toujours leurs privilèges aux dépens des réformes », a estimé à l’AFP, Zaid Al-Ali, chercheur à l’Université américaine de Princeton et auteur du livre La Lutte pour le futur de l’Iraq. Pour lui, le mouvement de colère de l’opinion était « entièrement prévisible ». Par ailleurs, cette montée de tension intervient alors que l’Iraq souffre actuellement d’une crise économique aiguë. Bagdad est aux prises avec une importante crise budgétaire, causée en grande partie par la forte chute des prix du pétrole, qui représente plus de 90 % des revenus du pays, le gouvernement n’a même pas la capacité de fournir les services essentiels comme ceux de l’électricité et de l’eau potable. La reconstruction de certaines villes comme Ramadi, reprise à l’EI, coûtera aussi des centaines de millions d’euros.
Inquiétudes internationales
La situation en Iraq est également suivie avec inquiétude par la communauté internationale et surtout les Etats-Unis qui craignent qu’elle « ne détourne » les autorités de la lutte contre l’EI qui constitue « la véritable menace » pour les Iraqiens, selon un haut responsable américain. Samedi dernier, à l’occasion d’un important pèlerinage chiite, une attaque revendiquée par l’organisation djihadiste (EI) a d’ailleurs provoqué la mort d’au moins 23 personnes, dont des pèlerins, selon des responsables iraqiens. En fait, l’EI contrôle encore de vastes pans du territoire dont la deuxième ville du pays, Mossoul, malgré l’avancée des forces iraqiennes appuyées par la coalition internationale menée par les Etats-Unis. Quelque 40 % du territoire de l’EI en Iraq et 15 % de celui en Syrie ont été repris aux djihadistes, et des dizaines de milliers de combattants ont été chassés du champ de bataille, a affirmé le responsable américain, ajoutant que l’organisation radicale sunnite avait perdu trois de ses principaux dirigeants au cours des derniers mois, ainsi que d’importantes ressources matérielles. « Sur le plan militaire, la période est clairement en faveur de la coalition anti-EI », a-t-il soutenu. Mais cette dernière doit encore lancer l’offensive pour reprendre la ville de Mossoul, nécessitant une coordination entre les forces kurdes et iraqiennes.
Washington insiste sur la nécessité « d’un plan clair » pour cette offensive. « Ce que nous ne voulons pas, c’est une course vers Mossoul de différentes forces qui finiraient par se marcher sur les pieds ou se combattre », a souligné ce responsable. Les Etats-Unis n’ont pas évoqué de date pour la reconquête de la ville, se bornant à préciser : « Nous voulons avancer le plus possible avant les grosses chaleurs de l’été ». En outre et dans le même cadre, le vice-président américain, Joe Biden, a entamé une visite surprise à Bagdad la semaine dernière.
Outre la situation politique et la lutte contre l’EI, M. Biden a évoqué « les mesures que pourrait prendre la communauté internationale pour favoriser la stabilité économique de l’Iraq », selon le communiqué de la vice-présidence américaine. M. Biden entend encourager l’Iraq à faire appel à ses voisins du Moyen-Orient pour l’aider financièrement. Il s’agit de la plus importante visite américaine en Iraq depuis la venue du vice-président Biden dans ce pays en 2011. Selon le centre Al-Rawabet des études stratégiques et politiques en Iraq, Washington doit soutenir le gouvernement d’Al-Abadi, elle craint que le fait de retirer son soutien au gouvernement ne puisse influencer négativement la lutte contre Daech. De plus, la politique américaine en général vise à protéger le processus politique qu’elle a lancé en Iraq depuis 2003, et qui, malgré ses inconvénients et ses nombreuses répercussions négatives sur les Iraqiens, est toujours inclus aux intérêts de Washington dans le pays.
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