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Enchevêtrement de crises en Iraq

Sabah Sabet avec agences, Lundi, 18 avril 2016

La crise poli­tique s'accentue en Iraq avec un parlement, dont le président a été destitué lors d'une session jugée inconsti­tutionnelle. Incapable d'ap­prouver le gou­vernement pro­posé par Haider Al-Abadi, un nouveau sit-in est en cours pour réclamer des réformes.

Enchevêtrement de crises en Iraq
Le conflit politique concernant l'éviction du président du parlement aggrave la crise en Iraq. (Photo:Reuters)

La crise politique s’aggrave de plus en plus en Iraq. Alors que les appels se font de plus en plus pressants sur la nécessité de mener des réformes enrayant la corruption, notamment par le biais d’un gouvernement de technocrates, la crise s’est élargie pour passer du gouvernement au par­lement. Au lieu de s’exprimer sur la liste des ministres du nouveau gou­vernement proposé par le premier ministre iraqien, Haider Al-Abadi, pour mener des réformes, les députés ont voté jeudi dernier pour la destitu­tion du président du parlement, Salim Al-Joubouri, et de ses deux adjoints. La crise politique ne s’est pas arrêtée là. Samedi dernier, le parlement ira­qien a continué de se déchirer oppo­sant les députés favorables à l’évic­tion du président de la chambre et ceux qui jugent « inconstitutionnel » le vote sur sa destitution.

Ces querelles risquent d’aggraver encore davantage la grave crise poli­tique en Iraq où Al-Abadi tente, sans succès, de former un nouveau gouver­nement de technocrates afin de mener des réformes. Un groupe de députés s’est retiré de la session de samedi. Selon le député Qassem Al-Araji, 23 députés du bloc chiite Badr se sont retirés de la session, ces querelles par­lementaires risquant de déboucher sur la formation de deux gouvernements rivaux. M. Al-Araji a aussi mis en garde contre « un effondrement du front » contre l’EI.

Le chef du parlement, proche du premier ministre, qui n’était pas pré­sent lors de la séance de jeudi dernier, a contesté le résultat du vote, affirmant que le quorum requis de 165 élus n’avait pas été atteint et que sa destitu­tion était donc « inconstitutionnelle ». C’est pourquoi il avait appelé à la tenue d’une session samedi dernier avant de l’annuler pour des raisons de sécurité, selon un communiqué publié par son bureau.

Outre la question de sa légitimité même, le vote de destitution contestée de M. Al-Joubouri, une importante figure sunnite, a suscité la colère du camp sunnite au parlement. L’Iraq est majoritairement chiite, mais compte une importante minorité sunnite. « Les appels (à la destitution) vont aboutir à la fin au concept de partenariat poli­tique (entre sunnites et chiites) et au principe de consensus sur lequel le processus politique est basé », indique un communiqué du bloc sunnite lu par le député Ahmad Al-Misari.

Pour l’analyste Kirk Sowell, qui publie depuis la Jordanie la lettre d’in­formation « Au coeur de la politique iraqienne », le vote de destitution « est sûrement invalide », et Al-Joubouri « a été visé en raison de son alliance avec le premier ministre Al-Abadi ». Le premier ministre avait présenté le 31 mars au parlement une liste de 13 personnalités pour remplacer les membres de son gouvernement affiliés à des partis par une équipe de techno­crates pour enrayer la corruption. Il se heurte à une farouche résistance des formations politiques y compris son propre camp, le bloc chiite. Les puis­sants partis et blocs politiques s’in­quiètent de perdre les privilèges dont ils bénéficient grâce aux postes de ministres dont leurs membres dispo­sent. C’est ainsi qu’ils ont rejeté cette liste et par la suite proposé leurs propres candidats, remplaçant sur une nouvelle liste la plupart des noms sug­gérés par M. Abadi.

Pendant ce temps, la crise s’enve­nime davantage avec un nouveau sit-in entamé dimanche pour réclamer des réformes. Un sit-in de deux semaines avait déjà eu lieu en mars devant la Zone verte de Bagdad, où se concen­trent l’essentiel des institutions de l’Etat, à l’appel de l’influent chef chiite Moqtada Al-Sadr. « Notre objectif est que soit mis fin au système des quotas politiques », qui implique le partage des principaux postes gou­vernementaux entre les partis, a décla­ré Mohammed Khayoun, un des parti­cipants au nouveau sit-in. « Nous demandons des réformes qui nous garantiront un meilleur avenir, ainsi qu’à nos enfants », a indiqué un autre manifestant, Imad Shaeet.

L’origine du mal

Depuis des années, les ministères sont en effet répartis entre les princi­paux partis qui les dirigent comme leurs propres fiefs. Même si la liste proposée par M. Al-Abadi est accep­tée, les analystes estiment que les ministres technocrates auront une tâche ardue pour mener les réformes. Selon Moammar Fayçal Khouli, ana­lyste au centre Al-Rawabet des études politiques et stratégiques, la crise en Iraq est complexe et profonde, et ne peut pas être réglée par de simples limogeages de responsables. En effet, les racines de cette crise remontent à 2003, c’est-à-dire à l’occupation de l’Iraq par les Etats-Unis et l’adminis­tration de l’ancien président américain George W. Bush. Sur le site du centre, l’analyste affirme : « Cette adminis­tration n’a pas mis en place en Iraq un système politique basé sur le concept de citoyenneté, indépendamment des considérations religieuses. Le système politique consensuel en Iraq est au contraire basé sur des affiliations sec­taires et nationalistes antérieures. D’où la fragilité du consensus entre les partenaires du processus politique, Kurdes et Arabes, sunnites et chiites ». Et c’est ce système qui s’est soldé par « un échec dans tous les domaines : politique, économique et sécuritaire. Il a été également la cause de la subor­dination de l’Iraq sous l’influence iranienne », estime-t-il.

Selon, le système de pouvoir en Iraq, le président de la République doit être kurde, le premier ministre chiite, et le président du parlement sunnite. Un consensus politique conditionné et relié à un certain par­tage des postes ministériels, c’est-à-dire à une politique de quotas. « Il est très difficile pour tout premier ministre iraqien de réaliser quelque chose, car il est accablé par ce sys­tème de quotas et la meilleure illus­tration est l’exemple de la liste de technocrates présentée par le pre­mier ministre et rejetée par la plupart des blocs politiques », estime-t-il.

Or, la formation d’un gouverne­ment stable est cruciale aux yeux de la communauté internationale qui lutte avec l’Iraq contre l’EI. C’est ainsi que l’Onu et les Etats-Unis ont exprimé leur inquiétude de voir les querelles politiques prendre le pas sur la lutte contre le groupe Etat Islamique (EI), qui contrôle des terri­toires à l’ouest et au nord de Bagdad. L’Onu a appelé vendredi dernier les responsables politiques iraqiens à mettre fin à la crise politique qui retarde la formation d’un nouveau gouvernement de technocrates et menace d’affaiblir le pays dans sa guerre contre le groupe EI.

« La seule partie qui bénéficie des divisions politiques, du chaos ainsi que de la faiblesse de l’Etat et de ses institutions, c’est Daech. Nous ne devons pas permettre que cela arrive. C’est seulement par l’unité que l’Iraq vaincra », a soutenu dans un commu­niqué le représentant de l’Onu en Iraq, Gyorgy Busztin. Et d’ajouter : « Les responsables politiques ira­qiens doivent placer l’intérêt natio­nal au-dessus de toute autre considé­ration et travailler sans relâche pour que le processus politique apporte des solutions qui sortiront l’Iraq de cette crise et renforceront l’Etat et ses institutions » .

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