Plutôt que de mettre fin à la division politique — ce fut pourtant son objectif initial —, le gouvernement d’union nationale formé sous l’égide de l’Onu est venu s’ajouter aux deux gouvernements libyens. On se trouve donc face à une situation inédite : un gouvernement basé dans la capitale Tripoli, composé d’islamistes se présentant comme les « garants de la révolution de 2011 » et relevant des milices de Fajr Libya, celui de Beida (dans l’est du pays), lié à la Chambre des représentants de Tobrouk, regroupant modérés et reconnu par la communauté internationale, et enfin, le gouvernement d’union nationale, né des négociations menées par l’Onu en exil, qui n’est pas sur place et qui navigue entre le Maroc et la Tunisie, et initialement censé mettre fin à la situation des deux gouvernements. Or, à chaque fois que les parties en négociation annoncent la mise en place de gouvernement d’union, il finit par tomber à l’eau, les deux parlements ne le reconnaissant pas. Selon les accords de Skhirat, ville marocaine où se tenaient les négociations menées par l’Onu depuis septembre 2014, ce gouvernement aurait dû être validé par un vote de la Chambre des représentants de Tobrouk. Faute de quorum, l’Onu a décidé de se contenter d’un communiqué, signé par une centaine de députés. C’est-à-dire que la communauté internationale a décidé de reconnaître le gouvernement d’union, sans que ce dernier soit reconnu par les parties libyennes elles-mêmes. Car sur place, ni le gouvernement de Tripoli, ni celui de Beida n’acceptent pour le moment de rendre le pouvoir.
C’est dire la complexité de la situation, comme l’a déclaré à l’AFP Mohamed Eljarh, expert libyen au Centre Rafic Hariri pour le Moyen-Orient, à Washington : « La naissance de ce gouvernement et de cette façon ne fait qu’aggraver la crise politique (...), engendrer de nouveaux conflits et déstabiliser davantage ». « Des membres du Conseil de sécurité de l’Onu estiment qu’une grande majorité des députés du parlement (reconnu) soutient l’accord politique et le gouvernement (d’union) », explique Olivier Ribbelink, chercheur à l’Institut TMC Asser de droit international basé à La Haye, cité par l’AFP. « Mais sur la forme, les Libyens considèrent ce gouvernement comme illégal », dit-il. Pour Mattia Toaldo, expert à l'European Council on Foreign Relations, également cité par l’AFP, « la légitimité politique et juridique » de ce gouvernement « restera faible tant qu’il n’a pas obtenu un vote au sein du parlement », même s’il est soutenu par l’Onu et l’Union européenne.
Pourtant, l’émissaire spécial de l’Onu en Libye, Martin Kobler, persiste et signe. « Il faut quitter les salles de conférences, la théorie et aller à la réalité, à Tripoli », a-t-il dit la semaine dernière, lors de la 8e conférence des pays voisins de la Libye, qui s’est tenue à Tunis. Selon lui, le gouvernement d’union nationale dirigé par Faez Sarraj, qui regroupera toutes les forces politiques et sécuritaires du pays, y compris le général Khalifa Haftar, mais qui pour l’instant n’a aucun pouvoir, sera bientôt installé à Tripoli.
Et la réaction ne s’est pas fait attendre : Martin Kobler s’est vu interdire, mercredi dernier, de se rendre à Tripoli par le gouvernement autoproclamé établi dans la capitale. Qui plus est, le même jour, le chef de ce gouvernement, Khalifa Al-Ghouil, a déclaré que « Martin Kobler n’est pas un émissaire pour la paix mais pour la destruction et il n’a qu’à demander l’autorisation des autorités libyennes pour pouvoir se rendre à Tripoli ». Et d’ajouter que tout le monde doit respecter désormais l’autorité libyenne et non « venir sur notre terre pour semer le chaos ». Cette fois-ci donc, le camp de Tripoli, qui a aussi décrété vendredi dernier « l’état d’urgence maximal », est allé un peu plus loin dans la provocation. Une manière d’imposer de facto leur présence en tant qu’autorité.
Cependant, ce gouvernement reste et restera non reconnu par la communauté internationale, malgré sa puissance sur le terrain. Quant au troisième, initialement destiné à mettre fin à la crise, il a un pouvoir d’action bien limité. En effet, son premier ministre est basé entre la Tunisie et le Maroc et ses ministres sont dispersés dans différentes régions de Libye. Reste un brin d’espoir : que la communauté internationale soit prête à lui fournir une protection militaire. Mais là aussi, le risque est gros, car une éventuelle installation « par la force » du gouvernement d’union nationale à Tripoli pourrait provoquer de nouveaux affrontements entre les groupes armés pour ou contre ce gouvernement. La communauté internationale se trouve bel et bien au pied du mur.
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