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Et de trois !

Abir Taleb, Lundi, 28 mars 2016

Le rejet, par les deux autorités rivales dirigeant la Libye, d’un troisième gouvernement soutenu par l’Onu, vient compliquer une situation politique déjà chaotique

Plutôt que de mettre fin à la division poli­tique — ce fut pourtant son objectif ini­tial —, le gouvernement d’union nationale formé sous l’égide de l’Onu est venu s’ajouter aux deux gouvernements libyens. On se trouve donc face à une situation inédite : un gouvernement basé dans la capitale Tripoli, composé d’isla­mistes se présentant comme les « garants de la révolution de 2011 » et relevant des milices de Fajr Libya, celui de Beida (dans l’est du pays), lié à la Chambre des représentants de Tobrouk, regroupant modérés et reconnu par la commu­nauté internationale, et enfin, le gouvernement d’union nationale, né des négociations menées par l’Onu en exil, qui n’est pas sur place et qui navigue entre le Maroc et la Tunisie, et initiale­ment censé mettre fin à la situation des deux gouvernements. Or, à chaque fois que les parties en négociation annoncent la mise en place de gouvernement d’union, il finit par tomber à l’eau, les deux parlements ne le reconnaissant pas. Selon les accords de Skhirat, ville maro­caine où se tenaient les négociations menées par l’Onu depuis septembre 2014, ce gouvernement aurait dû être validé par un vote de la Chambre des représentants de Tobrouk. Faute de quorum, l’Onu a décidé de se contenter d’un communi­qué, signé par une centaine de députés. C’est-à-dire que la communauté internationale a décidé de reconnaître le gouvernement d’union, sans que ce dernier soit reconnu par les parties libyennes elles-mêmes. Car sur place, ni le gou­vernement de Tripoli, ni celui de Beida n’accep­tent pour le moment de rendre le pouvoir.

C’est dire la complexité de la situation, comme l’a déclaré à l’AFP Mohamed Eljarh, expert libyen au Centre Rafic Hariri pour le Moyen-Orient, à Washington : « La naissance de ce gouvernement et de cette façon ne fait qu’aggraver la crise politique (...), engendrer de nouveaux conflits et déstabiliser davan­tage ». « Des membres du Conseil de sécurité de l’Onu estiment qu’une grande majorité des députés du parlement (reconnu) soutient l’ac­cord politique et le gouvernement (d’union) », explique Olivier Ribbelink, chercheur à l’Insti­tut TMC Asser de droit international basé à La Haye, cité par l’AFP. « Mais sur la forme, les Libyens considèrent ce gouvernement comme illégal », dit-il. Pour Mattia Toaldo, expert à l'European Council on Foreign Relations, éga­lement cité par l’AFP, « la légitimité politique et juridique » de ce gouvernement « restera faible tant qu’il n’a pas obtenu un vote au sein du parlement », même s’il est soutenu par l’Onu et l’Union européenne.

Pourtant, l’émissaire spécial de l’Onu en Libye, Martin Kobler, persiste et signe. « Il faut quitter les salles de conférences, la théorie et aller à la réalité, à Tripoli », a-t-il dit la semaine dernière, lors de la 8e conférence des pays voi­sins de la Libye, qui s’est tenue à Tunis. Selon lui, le gouvernement d’union nationale dirigé par Faez Sarraj, qui regroupera toutes les forces poli­tiques et sécuritaires du pays, y compris le géné­ral Khalifa Haftar, mais qui pour l’instant n’a aucun pouvoir, sera bientôt installé à Tripoli.

Et la réaction ne s’est pas fait attendre : Martin Kobler s’est vu interdire, mercredi dernier, de se rendre à Tripoli par le gouvernement autopro­clamé établi dans la capitale. Qui plus est, le même jour, le chef de ce gouvernement, Khalifa Al-Ghouil, a déclaré que « Martin Kobler n’est pas un émissaire pour la paix mais pour la des­truction et il n’a qu’à demander l’autorisation des autorités libyennes pour pouvoir se rendre à Tripoli ». Et d’ajouter que tout le monde doit respecter désormais l’autorité libyenne et non « venir sur notre terre pour semer le chaos ». Cette fois-ci donc, le camp de Tripoli, qui a aussi décrété vendredi dernier « l’état d’urgence maximal », est allé un peu plus loin dans la pro­vocation. Une manière d’imposer de facto leur présence en tant qu’autorité.

Cependant, ce gouvernement reste et restera non reconnu par la communauté internationale, malgré sa puissance sur le terrain. Quant au troi­sième, initialement destiné à mettre fin à la crise, il a un pouvoir d’action bien limité. En effet, son premier ministre est basé entre la Tunisie et le Maroc et ses ministres sont dispersés dans diffé­rentes régions de Libye. Reste un brin d’espoir : que la communauté internationale soit prête à lui fournir une protection militaire. Mais là aussi, le risque est gros, car une éventuelle ins­tallation « par la force » du gouvernement d’union nationale à Tripoli pourrait provoquer de nouveaux affrontements entre les groupes armés pour ou contre ce gouvernement. La com­munauté internationale se trouve bel et bien au pied du mur.

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