A l'appel d'Al-Sadr, 200 000 manifestants se sont rassemblés pour dénoncer le gouvernement.
(Photo:AFP)
« il faut donner une chance à des personnes indépendantes efficaces et écarter ceux qui ont conduit l’Iraq au bord du gouffre », a lancé l’imam et le leader chiite Moqtada Al-Sadr. Un appel à faire chuter le gouvernement alors que le ras-le-bol contre la corruption de la classe dirigeante iraqienne prend de plus en plus d’ampleur en Iraq. Al-Sadr a lancé cet appel lors d’une manifestation massive tenue vendredi dernier à Bagdad contre le gouvernement Al-Abadi. Devant l’entrée de la « zone verte », le quartier fortifié du centre de Bagdad où se trouvent les ministères, plusieurs dizaines de milliers de partisans de l’imam sont venus protester contre le ralentissement du gouvernement envers la lutte contre la corruption et les réformes prévues. Du haut de sa tribune, le chef religieux a durci le ton en appelant dans un discours enflammé, écouté par une impressionnante marée humaine, à un remaniement du gouvernement iraqien. « Le gouvernement corrompu doit être renversé », a tout simplement dit Al-Sadr.
L’imam chiite, une figure influente qui regroupe derrière elle de nombreux partisans, avait fixé, le 12 janvier dernier, un délai de 45 jours au chef du gouvernement, Haïdar Al-Abadi, pour procéder à une « réforme globale ». Il avait appelé M. Al-Abadi à former un gouvernement de « technocrates » loin des orientations partisanes, ce qui n’est pas encore réalisé.
L’imam Moqtada Al-Sadr compte sur le fait que la colère populaire contre le gouvernement et ses politiques ne date pas de cette semaine. L’été dernier déjà, des milliers de personnes s’étaient mobilisés chaque vendredi pour demander, entre autres, l’amélioration des services publics. Le premier ministre, Haïdar Al-Abadi, avait alors promis en 2015 la mise en place d’un plan de réformes économiques et politiques et la nomination de technocrates pour remplacer ses ministres. La plus drastique de ces réformes était la suppression « immédiate » des postes des trois vice-premiers ministres et trois vice-présidents, dont Nouri Al-Maliki, le prédécesseur d'Al-Abadi et son principal rival, dont les 8 années du pouvoir de Maliki ont été entachées d’accusations de corruption, d’autoritarisme et d’aliénation de la minorité sunnite.
Or, le plan d’Al-Abadi, qui comprenait aussi des mesures pour renforcer les pouvoirs de l’autorité anticorruption et d’autres visant à réduire le train de vie de l’Etat et à améliorer la qualité des services publics, n’a pas encore été mis en application de façon sérieuse. En effet, le plan prévoyait également l’abolition « des quotas confessionnels » et proposait que les responsables soient choisis selon leurs compétences et non selon leur appartenance confessionnelle ou ethnique. Mais la mise en application d’une telle mesure est extrêmement difficile dans un pays comme en Iraq où la communauté chiite est majoritaire, et où, en vertu d’un accord tacite, le chef de l’Etat est un Kurde, le premier ministre est un chiite et le chef du parlement sunnite.
L’EI toujours présent
Cette division des postes, engendrée par la chute de l’ancien président, Saddam Hussein, a lancé le pays dans des dissensions confessionnelles entre les communautés chiite et sunnite. Cette dernière s’estime toujours marginalisée et ses rancoeurs ont été mises à profit par le groupe djihadiste sunnite Etat Islamique (EI).
D’ailleurs, outre le mécontentement de la population en raison du ralentissement du rythme des réformes, les dernières attaques qui ont frappé l’Iraq paraissent être un recul dans l’efficacité du gouvernement et de l’armée dans la lutte contre Daech et le terrorisme. L’EI a ainsi multiplié ces derniers jours les attaques suicides en Iraq. Dans les deux dernières semaines, plusieurs dizaines de personnes ont été tuées dans différentes attaques visant des quartiers chiites de la capitale.
Certes, les forces de sécurité, soutenues par des tribus locales et l’aviation de la coalition internationale menée par les Etats-Unis, ont réussi au cours des 18 derniers mois à défendre et libérer certaines régions stratégiques de l’Iraq, notamment Ramadi, considérée comme une étape nécessaire pour la libération de Mossoul, une ville stratégique tombée entre les mains de l’EI en 2014. Cela dit, seules 14 % des régions que Daech avaient occupées en 2014 ont été libérées, selon le Think Tank américain Fars News.
Si combattre Daech est la priorité d'Al-Abadi, d’autres défis existent et ne sont pas des moindres. Zaid Al-Ali, constitutionnaliste et auteur de La Lutte pour le futur de l’Iraq, a assuré que le système en Iraq est « corrompu jusqu’à la moelle ». « La Constitution est décrépite, le cadre législatif est inadapté et la classe politique totalement corrompue et incompétente », fustige aussi cet expert, cité par l’AFP. D’ailleurs, selon Transparency International, l’Iraq occuperait la 170e place sur 175 pays dans le classement mondial de la corruption .
Lien court: