L’année 2015 s’achève sur un tableau peu reluisant dans le monde arabe, avec une panoplie de crises aiguës, souvent enchevêtrées, généralement difficiles à régler et mêlant de nombreuses parties régionales et même internationales. De la crise syrienne à la lutte anti-Daech, en passant par la guerre en Libye ou encore le conflit au Yémen, la région fait face à l’une des pires pages de son Histoire. Et surtout, à des lendemains des plus incertains. Pourtant, après plusieurs années d’apathie qui ont vu ces dossiers prendre des proportions incontrôlables, les dernières semaines de 2015 ont témoigné d’une certaine impulsion visant à faire bouger les choses dans la région.
C’est en effet la montée en puissance de l’Etat Islamique (EI), et le nouveau rôle russe, qui ont poussé le Conseil de sécurité à adopter le 19 décembre une feuille de route pour une solution politique au conflit qui ravage la Syrie depuis 2011 et qui a fait plus de 250 000 morts et des millions de déplacés. Le texte prévoit des négociations opposition-régime, un cessez-le-feu, un gouvernement de transition et des élections dans les 18 mois. Le tout est de savoir désormais si 2016 sera l’année de la concrétisation de ces amorces de règlement. « C’est un bon début », répond Dr Hassan Nafea, professeur à la faculté de sciences politiques de l’Université du Caire, et rédacteur en chef du magazine La Politique internationale. « C’est la première fois qu’une résolution est approuvée au Conseil de sécurité par toutes les puissances concernées par la crise syrienne, y compris la Russie. Et ça, c’est important », estime l’analyste. Mais cela ne garantit pas l’application de la feuille de route mise en place. Le tout dépend en effet de la flexibilité ou de l’obstination du régime et de l’opposition dans les négociations à venir, mais aussi des positions des parties externes impliquées dans le conflit, et ce, en ce qui concerne deux points essentiels : « En premier lieu, le sort de Bachar Al-Assad, que la résolution onusienne a soigneusement omis, et en deuxième lieu, l’accord sur la distinction faite entre les groupes terroristes et les autres groupes d’opposition oeuvrant en Syrie », explique Dr Nafea.
Questions-clés ajournées
En effet, ces deux questions restent hautement problématiques. Déjà, jeudi dernier, Damas s’est dit prêt à participer à des négociations fin janvier 2016, mais s’est dit aussi et surtout attendre de savoir quels groupes de l’opposition y prendront part, Damas ne faisant aucune différence entre les rebelles et les djihadistes du Front Al-Nosra — la branche syrienne d’Al-Qaëda — ou de l’EI. Or, la Jordanie, chargée de préparer une liste des groupes terroristes à exclure des négociations, n’a toujours pas donné de liste finale. Elle avait simplement indiqué le 21 décembre qu’il y avait un « consensus » pour écarter Al-Nosra et l’EI. Ce qui reste loin de correspondre aux visions de Damas …
Quant à la question de l’avenir du président syrien, il semble que la communauté internationale ait préféré la reléguer à plus tard, faute de consensus. Certes, les positions ont quelque peu évolué ces derniers mois, les Occidentaux, notamment l’Europe, se montrant moins intransigeants quant à un départ immédiat de Bachar, présenté auparavant comme une condition préalable à tout règlement. « Entre les lignes, on comprend que le régime de Bachar et quelques membres de l’opposition vont conduire la période de transition », estime le politologue. Quant à l’après-transition, le flou demeure total. « La résolution onusienne a négligé les principaux points d’achoppement. Or, ces points sont souvent liés à l’équilibre des forces sur le terrain », estime ainsi Dr Amani Al-Tawil, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Selon elle, « l’intervention de Moscou a fait pencher la balance en faveur du régime syrien. Et ce n’est pas fini, le rôle de Moscou va croître davantage en 2016, de même que celui de l’Iran, un autre allié de poids de Bachar Al-Assad » (voir encadré). « Tous ces éléments, dit-elle, changent l’équilibre des forces sur le terrain, et par la suite, pèseront sur le règlement politique ».
Il semblerait donc que l’on se dirige vers un début de solution tout en faveur du régime syrien, mais pas à une solution définitive. Au vu des récentes évolutions, on devrait s’attendre au scénario qui suit en 2016, selon Dr Hassan Nafea : « Après la mise en place d’un cessez-le-feu entre les forces du régime et celles de l’opposition modérée, celles-ci s’uniront pour faire front commun contre Daech et Al-Nosra, et ce, avec l’aide logistique et financière de la communauté internationale. C’est du moins le scénario désiré par Damas, qui aspire à être sollicité par la communauté internationale dans la lutte anti-Daech ».
Options risquées
En effet, le règlement de la crise syrienne et la lutte anti-EI sont étroitement liés. Ce règlement est considéré comme le meilleur moyen d’encercler Daech en Syrie, mais aussi en Iraq.
D’autant plus que la communauté internationale ne veut surtout pas s’aventurer dans un engagement de troupes sur le sol. « La lutte anti-EI passe par l’application de la résolution de l’Onu », affirme Dr Ahmad Youssef, politologue et professeur à la faculté de sciences politiques de l’Université du Caire. Le spécialiste prévoit, comme ses homologues, que les « parties en conflit arrêtent les hostilités pour s’unifier contre Daech et Al-Nosra ». Cependant, Dr Ahmad Youssef prévient des conséquences de cette vision à « court terme ». « Quand bien même la guerre contre l’EI serait gagnée, il restera un problème majeur : celui des armes qui pullulent aujourd’hui en Syrie, le processus de désarmement risque d’être très difficile », dit-il.
En attendant de voir comment faire face à un tel problème, la communauté internationale semble focaliser sur un point : ramener un minimum de stabilité en Syrie pour créer un front commun à même de combattre Daech sur le sol, étant donné qu’il s’est avéré clair que les frappes aériennes à elles seules ne suffisent pas. C’est un peu ce qui est fait en Iraq, comme l’explique Dr Ahmad Youssef. « La communauté internationale fournit des aides à Bagdad pour mener les combats actuels à Ramadi. Les raids russes ont affaibli les forces de Daech, mais pour les chasser, il faut une intervention des forces iraqiennes ».
Ce qui nous ramène à la question fatale d’une éventuelle intervention terrestre. Une question soulevée notamment avec la création de la coalition islamique de lutte contre le terrorisme, menée par l’Arabie saoudite. Pour Dr Amani Al-Tawil, « cette coalition pourrait servir à des interventions terrestres, mais sa concrétisation même reste hypothétique, du fait des positions de ses Etats membres. Et puis, avant tout, Riyad l’a mise en place pour avoir du poids devant l’influence croissante de Téhéran, et ce, en se positionnant comme leader régional ».
Plus pragmatique, Dr Ahmad Youssef estime que « cette coalition n’existe pas dans la réalité et que les conditions de sa réelle mise en place ne sont pas encore accomplies ». Et d’ajouter : « De toutes les manières, l’expérience a prouvé que ce genre de coalitions militaires et l’intervention de troupes étrangères ne règlent jamais les crises et ne font qu’affaiblir les forces gouvernementales, comme c’est le cas au Yémen ».
Pas si réfléchies ?
La lutte anti-Daech, les attentats du 13 novembre à Paris et les autres revendiqués par l’EI, les frappes françaises, russes et autres qui sont venues s’ajouter à celles de la coalition ont-ils précipité les choses ? Peut-être un peu trop, au risque de pousser à des solutions pas si réfléchies que cela ? S’il est un peu tôt pour y répondre, il est au moins sûr que la conjoncture actuelle, faite d’un cumul de calculs souvent contradictoires, n’est pas pour apporter une solution définitive à ces deux questions-clés : la Syrie et la lutte anti-EI, sinon des avancées timides. Reste deux autres facteurs-clés en 2016 et pour les années qui suivront : le rôle grandissant de l’Iran (voir encadré) et les élections présidentielles américaines. Quelle sera la position de la future Administration américaine à l’égard de toutes ces questions ? Sera-t-elle sérieuse dans la lutte anti-EI ou son rôle sera-t-il ambigu comme à l’heure actuelle ? Quoi qu’il en soit, l’Histoire nous a toujours montré que de toutes les manières, ce sont les intérêts des grands décideurs qui priment. Et, comme le dit Hassan Nafea, « jusqu’à présent, la communauté internationale ne fait que gérer le problème syrien, pas le régler, le tout pour maintenir un équilibre des forces entre les grandes puissances ».
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