Officiellement, la conférence internationale sur la Libye, prévue le 13 décembre à Rome, est censée donner une «
impulsion, si possible décisive, à la conclusion d’un accord pour un gouvernement national » en Libye. C’est en tout cas ce qu’a déclaré le ministre italien des Affaires étrangères, Paolo Gentiloni. Officieusement, il s’agit surtout de discuter de la menace qui pèse sur la Libye en raison de la présence de l’Etat Islamique (EI), et du coup, de la menace que représente aujourd’hui la Libye. Le chef de la diplomatie italienne ne l’a d’ailleurs pas caché : un accord inter-libyen représente l’«
unique base pour contrecarrer » l’EI. Cette conférence, convoquée à la fois par l’Italie et les Etats-Unis, doit réunir, pour une seule journée de travail, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, les grands pays européens et les pays de la région, comme l’Algérie, le Maroc ou encore l’Egypte.
En fait, depuis peu, la Libye apparaît de plus en plus comme la prochaine urgence pour les Occidentaux, qui s’alarment de la montée en puissance de l’EI dans ce pays dont les côtes sont seulement à 600 km des côtes de Malte et de la Sicile. Quelques jours à peine après les attentats du 13 novembre à Paris, et l’intensification des frappes aériennes contre l’EI en Syrie, le président du Conseil italien, Matteo Renzi, l’avait clairement dit : « La Libye risque d’être la prochaine urgence ». Alors que le premier ministre français, Manuel Valls, déclarait le 30 novembre sur Europe 1 que la Libye serait « incontestablement le grand dossier des mois qui viennent ».
Depuis, de nombreuses voix ne cessent de s’élever dans ce sens. Sans un tel accord, « ce sera la victoire de Daech en Libye », a averti le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian. « On voit arriver dans la région de Syrte (nord) des djihadistes étrangers qui, si nos opérations en Syrie et en Iraq parviennent à réduire la base territoriale de Daech, pourraient être demain plus nombreux », a ajouté le ministre dans un entretien à l’hebdomadaire Jeune Afrique.
Certains vont même jusqu’à affirmer que la ville de Syrte risque d’être la prochaine capitale de l’EI, et que le groupe compterait y transférer ses cadres, voire ses centres de commandement, à l’heure où son QG iraqien de Mossoul est menacé par les forces kurdes et où son chef-lieu syrien de Raqqa est sous les bombes tant russes qu’occidentales. Selon le New York Times, l’hypothèse est prise au sérieux par les services américains et européens. Et, selon l’Onu, la Libye compte désormais entre 2 000 et 3 000 combattants de l’EI, dont 1 500 à Syrte.
Premières mesures
L’inquiétude est donc palpable. Et les premières mesures déjà prises. La France a ainsi reconnu vendredi dernier avoir effectué des vols de reconnaissance au-dessus de la Libye en novembre, notamment le fief de l’EI à Syrte, et en planifie d’autres. Les missions aériennes ISR (Intelligence, Surveillance et Reconnaissance) visaient à collecter du renseignement sur des mouvements de combattants et des cibles potentielles. Ce sont des « missions de renseignement comme on en fait régulièrement quand on est dans une zone de crise », a indiqué une source militaire à bord du porte-avion français Charles de Gaulle, citée par l’AFP. « Ce sont des opérations frontalières pour récolter des informations et des renseignements, en particulier sur les mouvements terroristes », aussi bien l’EI que l’organisation Al-Qaëda au Maghreb Islamique (Aqmi), a-t-on ajouté de même source.
Quelques jours plus tôt, le 13 novembre, les Etats-Unis disaient avoir tué, lors d’une frappe aérienne, le chef supposé de Daech en Libye, l’Iraqien Wissam Najm Abd-Zayd Al-Zubaydi, alias Abou-Nabil. Ce n’est pas le seul haut gradé iraqien dans les rangs de l’EI envoyé à Syrte.
Mais comment Daech a-t-il pu renforcer sa présence en Libye ? Selon les analystes, plusieurs facteurs y ont contribué. D’abord, une forte politique de recrutement de combattants nord-africains, ensuite l’arrivée en grand nombre de combattants en provenance de Syrie et d’Iraq. L’implantation du groupe passe aussi par une politique d’infiltration des tribus et d’alliances avec quelques groupes djihadistes locaux. Aujourd’hui, le plus grave, selon les observateurs, est que Daech, qui possède déjà un camp d’entraînement à Sabratha, près de la frontière tunisienne, cherche à étendre son influence plus à l’est, dans la région d’Ajdabiya, où se concentrent la plupart des gisements pétroliers et gaziers de la Libye. Daech cherche ainsi à reproduire la même stratégie qu’en Syrie : se financer grâce au contrôle de puits pétroliers.
Autant de sources d’inquiétudes pour les Européens, qui excluent toutefois toute intervention tant que le chaos prévaudra dans ce pays. Aucun pays occidental ne montre en effet d’empressement à frapper en Libye, après le mauvais souvenir laissé par l’intervention de 2011, qui a conduit au chaos généralisé et suscité l’ire des pays voisins. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a ainsi déclaré qu’il fallait « absolument que les Libyens s’entendent entre eux. La France se refuse à intervenir militairement tant que les clans rivaux libyens n’arrivent pas à se mettre d’accord sur une solution politique, qui mettrait fin à la guerre civile ».
« Si un accord intervient en Libye, alors on pourra apporter un soutien sécuritaire », a toutefois concédé une source gouvernementale française, citée par l’AFP.
Ce qui explique la pression actuelle pour que les parties libyennes parviennent à un accord. Et qui n’exclut pas que ce soit un prélude à une nouvelle escalade militaire de la coalition occidentale contre Daech en Libye.
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