Mis à part les ripostes françaises rapides — intensification des frappes, envoie du porte-avion Charles de Gaulle —, les différentes parties en jeu trébuchent sur l’approche à prendre pour mettre sur pied une coalition anti-EI encore plus élargie.
En effet, à l’heure qu’il est, la grande coalition unie ressemble plutôt à un projet aux contours indéfinis. D’abord, en raison de la position de la France, qui devient de plus en plus confuse. Après une semaine d’intenses négociations diplomatiques sur la résolution de la crise syrienne, au cours de laquelle le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a rencontré successivement Barack Obama, Vladimir Poutine et Angela Merkel, le chef de la diplomatie française a simplement jugé qu’une coalition internationale anti-Daech était encore envisageable. Rien de nouveau, rien de précis. « Il faut à la fois neutraliser Daech et construire une solution politique en Syrie », a-t-il dit. Là aussi, rien de nouveau sur les moyens de le faire.
Mais le plus surprenant dans la position française consiste en deux points : la participation des forces du régime à d’éventuelles opérations au sol et le grand écart de Paris entre Moscou et Washington. Et les deux ne sont pas sans liens.
Pour ce qui est du premier point, M. Fabius a dit souhaiter qu’une coalition engage une offensive terrestre en réunissant des forces de l’Armée Syrienne Libre (ASL), des militaires d’autres pays arabes sunnites « et pourquoi pas des forces du régime ». Une déclaration pour le moins surprenante, qui est intervenue — et cela n’est pas anodin — aux suites de la rencontre entre les présidents français, François Hollande, et russe, Vladimir Poutine, à Moscou.
Mais Paris a semble-t-il pris conscience de l’ampleur d’une telle déclaration, voire prise de position. Et le chef de la diplomatie s’est empressé de préciser, lundi dernier, qu’une collaboration avec l’armée syrienne pour lutter contre le groupe djihadiste EI n’est envisageable que si l’actuel président, Bachar Al-Assad, n’est plus aux commandes. Pour ne pas prêter à confusion, le premier ministre français, Manuel Valls, a lui aussi déclaré : « Non, le régime syrien ne peut en aucun cas être un partenaire, non la coopération anti-terroriste ne peut être ni envisageable ni utile avec ce régime qui lui-même recourt à la terreur ».
Pour ce qui est du deuxième point, Paris semble ne pas avoir les moyens politiques de coaliser la Russie de Vladimir Poutine à l’Amérique de Barack Obama. Ce qui complique davantage la question du règlement de la crise syrienne, qui repose aussi et surtout sur un accord international sur le sort du président syrien, Bachar Al-Assad. Et c’est cette question justement qui demeure le point d’achoppement entre Moscou et Washington.
En attendant de se mettre d’accord sur ce point, les différentes parties misent davantage sur la lutte anti-EI. Mais cette même lutte se heurte à d’autres obstacles, notamment après la dégradation des relations entre la Turquie et la Russie.
Main forte
Chacune des parties en jeu veut avoir la main forte, afin d’imposer ses vues dans un éventuel réglement politique. C’est justement pour cette raison que la Russie tente de tirer profit de l’incident frontalier de la semaine dernière (la Turquie avait abattu un appareil militaire). Un incident qui lui permet de consolider sa position militaire en Syrie. Petit à petit, la Russie se rend maître de l’espace aérien syrien. Un état des lieux que Moscou compte optimiser au maximum pour sauver le régime de Damas, y compris en frappant l’opposition. Or, cet objectif n’est ni celui de la Turquie, ni celui des Occidentaux.
Ainsi, la priorité des Turcs en Syrie – lutter contre les Kurdes — n’est ni celle des Occidentaux qui s’appuient au contraire sur cet allié local, ni celle de la Russie. Chaque jour, la difficulté d’agir en Syrie devient plus apparente, tant les divergences qui opposent les puissances engagées dans la guerre sont patentes.
En effet, après l’émotion des attentats de Paris, la France, comme l’ensemble de la communauté internationale, sont confrontées au réalisme d’un conflit, qui ressemble de plus en plus à une impasse.
Hésitations européennes
ministre de la Défense britannique, Michael Fallon, a indiqué dimanche matin que son gouvernement souhaiterait que la Chambre des communes se prononce cette semaine sur une éventuelle participation du Royaume-Uni aux frappes aériennes contre l’Etat Islamique (EI) en Syrie. Mais rien n’est gagné. Les conservateurs ne détenant qu’une petite majorité aux Communes, le premier ministre, David Cameron, souhaite que des députés autres que les conservateurs votent la décision de frapper l’EI en Syrie et non plus seulement en Iraq. Or, le chef des travaillistes, Jeremy Corbyn, souhaite que tous les élus de son parti aux Communes votent contre des frappes aériennes en Syrie. Mais une grande partie de ses députés et notamment le numéro deux du Labour, Tom Watson, souhaitent qu’il n’y ait pas de consigne de vote pour pouvoir choisir librement.
Du côté des Allemands, l’armée allemande a indiqué dimanche qu’elle comptait déployer quelque 1 200 militaires seulement pour aider la France dans la lutte contre l’EI. La mission pourra débuter « très rapidement après l’octroi d’un mandat » en ce sens, a indiqué l’inspecteur général de la Bundeswehr, le plus haut gradé de l’armée allemande, Volker Wieker. Après la décision de principe, le Conseil des ministres allemand doit formellement entériner l’engagement militaire du pays en Syrie, mardi, avant un vote des députés qui ne devrait pas poser de problèmes compte tenu de la majorité très large, dont dispose la coalition de la chancelière, Angela Merkel, au Bundestag.
Les Espagnols sont, eux, divisés sur une participation de leur pays à la coalition anti-EI, selon deux sondages publiés par la presse espagnole. Dans une enquête parue dimanche dans le quotidien El Mundo, 54 % des personnes interrogées se disent opposées à un engagement de l’Espagne, quand un peu plus du tiers (35 %) se disent favorables. Plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi à Madrid contre un engagement de l’Espagne dans le conflit syrien, alors que le chef du gouvernement, Mariano Rajoy, assurait une nouvelle fois qu’il ne prendrait aucune décision précipitée, à moins d’un mois des élections.
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