Comme prévu, les rebelles chiites houthis ont réussi à reprendre aux forces loyalistes yéménites les positions qu’elles avaient conquises en trois jours dans la province de Taëz, dans le sud-ouest du Yémen. Une défaite importante pour les forces loyales au président yéménite Abd-Rabbo Mansour Hadi, vu l’importance de cette ville. C’est pourquoi les forces loyalistes comptent malgré tout se réorganiser pour poursuivre leur offensive dans la province de Taëz. Mais la reconquête de la ville n’est pas facile. En effet, des combats acharnés opposent les deux camps depuis plus de trois semaines pour le contrôle de cette ville-clé, proche du détroit stratégique de Bab Al-Mandeb, à l’entrée de la mer Rouge, et considérée souvent comme la troisième ville du Yémen.
C’est le 16 novembre dernier que les forces pro-gouvernementales ont lancé une offensive pour lever le siège de Taëz, et reconquérir l’ensemble de la province. Depuis, elles se heurtent à une forte résistance des rebelles. Signe de cette résistance, les rebelles et leurs alliés, les unités de l’armée restées fidèles à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, ont réussi à reprendre aux loyalistes plusieurs régions autour de la ville, et les forces fidèles au président Mansour Hadi peinent à progresser.
En effet, les Houthis ont changé leur stratégie pour freiner l’avancée des forces gouvernementales. Ils ont détruit de nombreux ponts qui relient Taëz aux autres villes de la région pour isoler la ville. Pourtant, les forces loyalistes bénéficient d’une couverture aérienne de la coalition arabe, intervenue fin mars sous la conduite de l’Arabie saoudite, pour rétablir l’autorité du président Hadi. Selon son entourage, M. Hadi a mis fin à son exil en Arabie saoudite pour « superviser » l’offensive à Taëz et « la libération des autres provinces » du pays et améliorer la situation humanitaire des habitants de cette région.
« Taëz est une ville-clé pour les deux camps pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le contrôle de cette ville permet de dominer facilement le sud du pays. Deuxième raison : Taëz est une province riche. Elle abrite le plus important puits de gaz naturel du pays. Aussi, en maintenant leur contrôle de Taëz, les Houthis peuvent recevoir facilement les aides de la part des parties qui les soutiennent. Pour les forces gouvernementales, Taëz est considérée comme le premier front qui empêche les Houthis d’avancer vers Aden, capitale actuelle du Yémen », explique Dr Moatez Salama, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire. Selon l’analyste, le contrôle de Taëz permettrait également aux forces pro-gouvernementales yéménites de mieux sécuriser le sud très instable et ouvrirait la voie à la reprise des régions du centre et du nord, dont la capitale Sanaa.
Or, pour l’heure, les forces loyalistes semblent en mauvaise posture, et quand bien même elles réussissent à conquérir une ville, elles n’arrivent pas à maintenir leur emprise sur les régions libérées. « Pour ce, il faut y maintenir des forces. Mais les forces gouvernementales souffrent d’un manque d’effectifs dans leurs rangs. En plus et surtout, elles doivent créer des alliances avec les chefs des tribus locales. Or, ces derniers n’ont confiance ni en les forces loyalistes, ni en les Houthis », explique Dr Moatez Salama. Avis partagé par d’autres analystes. Dr Eman Ragab, analyste au CEPS, explique : « Les forces de la coalition arabe menée par l’Arabie saoudite ont perdu la confiance de la population locale en raison des centaines de morts et de blessés parmi les civils suite aux raids aériens qu’elles mènent sur des régions civiles. Mais les tribus n’ont pas confiance non plus en les Houthis car ils sont chiites et ces tribus sont sunnites ».
Les civils pris en tenailles
Pendant ce temps, l’Onu a déploré que près de 200 000 civils soient pris au piège des combats à Taëz « où ils vivent comme sous un siège et manquent cruellement d’eau, de nourriture et de médicaments », selon le patron des opérations humanitaires Stephen O’Brien. Ce dernier a expliqué que cette situation humanitaire est due à l’embargo imposé au Yémen par la coalition arabe afin d’éviter que les rebelles chiites houthis, alliés à des combattants restés loyaux à l’ancien président Ali Abdallah Saleh, puissent s’approvisionner en armes. Et pour défendre leur politique, des avions de la coalition arabe ont annoncé avoir frappé deux bateaux de pêche transportant des armes destinées aux rebelles. Un scénario qui se répète souvent depuis mars dernier, l’Iran étant accusé d’acheminer des armes aux Houthis à travers ces bateaux de pêche.
Les civils sont ainsi pris en tenailles entre les belligérants. D’autant plus que les forces gouvernementales yéménites accusent également des membres de tribus de la région d’être impliqués dans de la contrebande d’armes.
Face à cette situation sur le terrain, l’Onu peine à relancer des négociations de paix, alors qu’il était prévu une reprise des discussions à la mi-novembre, en principe à Genève. L’entourage de l’émissaire de l’Onu, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, a indiqué qu’aucune date n’avait encore été fixée. Du côté gouvernemental, Abdelmalak Al-Mekhlafi, récemment désigné chef des négociateurs gouvernementaux, a répété que ces pourparlers devraient se consacrer à « l’examen du mécanisme d’application de la résolution 2 216 du Conseil de sécurité de l’Onu », qui prévoit le retrait des rebelles des territoires conquis et la restitution des armes lourdes à l’Etat, tout en dénonçant « une escalade militaire des Houthis ». La semaine dernière, une délégation des rebelles s’était rendue dans la capitale omanaise, Mascate, pour rencontrer l’émissaire de l’Onu pour le Yémen, après sa visite en Iran, allié des Houthis. « Les Houthis louvoient toujours. Ils n’ont pas encore soumis la liste de leurs négociateurs », a déclaré M. Al-Mekhlafi à l’AFP, indiquant que les entretiens de Mascate entre le médiateur et les Houthis ont porté « sur les mécanismes et l’agenda du dialogue » proposé par l’Onu. Mais aucune déclaration officielle n’a suivi les discussions de Mascate. Pourtant, il est devenu de plus en plus évident, en raison du rapport de force sur le terrain, qu’aucune solution ne pourra être imposée par les armes.
« La crise yéménite ne sera pas réglée sans l’intégration des Houthis à la vie politique. Il faut répondre à certaines de leurs revendications, car la négligence d’une partie de la société a toujours de lourdes conséquences. Les Houthis ne vont pas céder sans obtenir gain de cause, car ils sont conscients de leur poids sur le terrain », conclut Dr Salama .
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