Bouteflika serait tenu à l'écart des grandes décisions politiques.
(Photos : AP)
Ils sont dix-neuf personnalités algériennes — dont l’ex-ministre Khalida Toumi, la députée trotskiste Louisa Hanoune et l’écrivain Rachid Boudjedra — à avoir demandé, dans une lettre rendue publique vendredi dernier, à rencontrer le président algérien, Abdelaziz Bouteflika. Objectif : s’assurer que le président algérien est toujours capable de diriger le pays. Car depuis au moins deux ans, de nombreux doutes sont émis à cet effet, et les rumeurs les plus extravagantes fusent sur l’état de santé du président. En effet, M. Bouteflika, 78 ans, a été victime en 2013 d’un AVC qui a affaibli sa mobilité et sa faculté d’élocution. Ses activités publiques sont devenues très rares.
Or, ce qu’il y a de nouveau cette fois-ci, c’est que ces 19 personnalités sont des proches du président. Une partie d’entre elles s’était d’ailleurs prononcée en faveur d’un quatrième mandat pour M. Bouteflika en 2014. Il s’agit donc là d’un virage à 180 degrés. « Je connais très bien le président et je doute que certaines décisions soient de sa propre initiative », a carrément affirmé Mme Toumi, qui a fait partie du gouvernement de 2002 à 2014, date à laquelle le président algérien a été réélu pour un quatrième mandat. « Nous estimons qu’il est de notre devoir de patriotes algériens d’attirer votre attention sur la dégradation du climat général dans notre pays », affirment les 19 signataires de la lettre, qui demandent une audience au chef de l’Etat. Selon eux, « la déliquescence des institutions de l’Etat, la grave dégradation de la situation économique et sociale qui frappe la majorité du peuple algérien à laquelle sont apportées des réponses inquiétantes de la part des autorités du pays augurent de l’extrême précarisation des plus vulnérables tout en livrant le pays, ses richesses, ses capacités aux prédateurs et aux intérêts étrangers ». Ils mentionnent aussi l’existence « d’un fonctionnement parallèle, obscur, illégal et illégitime » qui se serait substitué « au fonctionnement institutionnel légal », suggérant ainsi que le chef de l’Etat algérien aurait perdu la main au profit de certaines forces.
L’entourage pointé du doigt
Ce qu’il faut lire entre les lignes donc, c’est que le chef de l’Etat algérien serait tenu à l’écart des grandes décisions politiques et serait l’otage d’un clan du régime. Un scénario de plus en plus évoqué par la presse algérienne.
Le cri d’alarme lancé par les « amis » du président algérien intervient après les mises en garde répétées de l’ex-premier ministre et candidat malheureux à l’élection présidentielle d’avril 2014, Ali Benflis. Ce dernier n’a cessé d’alerter sur le fait que « des forces extra-constitutionnelles ont pris possession du centre de décision » et que « le pouvoir est assumé d’ailleurs », un « ailleurs » qui, selon lui, « se répartit entre la famille, la clientèle politique et fonctionne avec de l’argent sale ». Il intervient après la série de limogeages, de mise à la retraite et d’arrestations d’officiers supérieurs de l’armée, sur fond de restructuration du Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), qualifié à tort ou à raison d’Etat dans l’Etat.
Cette sortie médiatique et politique de ces personnalités algériennes risque également de jeter de l’huile sur le feu dans un pays qui s’interroge lourdement sur son avenir et sur la possible succession de Bouteflika. Elle attisera sans aucun doute la guerre des clans alors qu’aucune personnalité n’est parvenue à faire consensus autour d’elle en cas de brusque disparition de l’actuel président, laissant le pays en suspens.
Selon les observateurs, ce qui a motivé ces 19 personnalités, c’est qu’elles se rendent compte que l’Algérie est à la veille de profondes mutations politiques et économiques causées par l’impasse dans laquelle l’a menée Bouteflika qui a trop compté sur sa rente pétrolière au lieu d’investir dans l’économie. Le déficit de l’Algérie franchit les 10 milliards de dollars.
Mais cette rente a fondu en raison de la chute vertigineuse du prix du pétrole. Et c’est sur ces revenus disparus que le gouvernement reposait pour acheter une paix sociale déguisée.
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