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Syrie : Moscou mène la danse

Abir Taleb avec agences, Lundi, 05 octobre 2015

Déjà très complexe, le conflit en Syrie a pris un nouveau tournant avec l'implication militaire des Russes, alliés de Bachar Al-Assad.

Syrie : Moscou mène la danse
L'intervention russe en Syrie est perçue comme une victoire du président Putin face à son homologue américain.

Cela fait déjà une semaine que Moscou a officiellement lancé ses premiers raids aériens en Syrie, pour combattre l’Etat Islamique (EI). Une semaine au cours de laquelle les interrogations et les analyses fusent de toute part sur les conséquences de cette nou­velle donne sur le conflit en cours en Syrie, depuis plus de quatre ans. Car plus qu’une évolution, il s’agit là d’un tournant majeur dans la crise syrienne. Et ce, pour deux raisons essentielles : d’abord parce que Moscou est un allié incondi­tionnel du président syrien, Bachar Al-Assad, et a toujours soutenu que tout règlement doit se faire avec le maintien du régime actuel, ensuite parce que la Russie est le seul pays à avoir une base militaire en terri­toire syrien, à Tartous, ce qui peut changer l’équilibre des forces, même si l’objectif officiel, annoncé par Moscou, est de frapper l’EI.

Militairement parlant donc, les Russes semblent, dores et déjà, en position de force. Ils parlent de quelque 20 frappes quotidiennes. Et trois jours à peine après le début de leur intervention, le ministère russe de la Défense faisait état de la destruction d’un poste de commandement et d’un bunker de l’EI, près de Raqa (nord-est), la « capi­tale » de l’organisation djihadiste qui contrôle près de la moitié du territoire syrien, ainsi que de celle d’un entrepôt de munitions et visé un camp d’entraînement de l’EI dans la province d’Idleb (nord-ouest). Ce qui, selon un haut responsable de l’état-major russe, le général Andreï Kartapolov, a semé la « panique » chez les djihadistes et a conduit « environ 600 » d’entre eux à abandonner leurs positions.

Forte de ses prouesses, la Russie a aussi annoncé une intensification de ses raids. La campagne de frappes russes va durer « trois à quatre mois » et s’intensifier, précise le prési­dent de la Commission des Affaires étrangères de la Douma (chambre basse du parlement russe). Ce qui n’est pas pour plaire aux Occidentaux, pour lesquels Moscou intervient surtout pour soutenir Bachar Al-Assad.

En effet, pour les Occidentaux, avec les Etats-Unis en tête, les frappes russes visent non seulement les combattants de Daech, mais l’ensemble des groupes armés opposés à Damas, dont certains sont soutenus par la coa­lition anti-EI. En effet, le général Kartapolov a répété samedi dernier que la Russie ne visait que des « terroristes » en Syrie. Or, comme le pouvoir syrien, le Kremlin qualifie de « terro­riste » tout groupe combattant le régime d’As­sad.

Aussi, des doutes persistent quant à l’effica­cité des frappes russes contre l’EI. Certains analystes estiment, en effet, que ces frappes peuvent faire le jeu de Daech, qui peut tout à fait en tirer profit. Et ce, grâce à une campagne de propagande susceptible d’augmenter le nombre de ses sympathisants.

Un scénario de guerre froide

On se retrouve donc dans un scénario de guerre froide par excellence, avec tous les risques que cela engendre. « Le plus urgent, à l’heure actuelle, est d’éviter que des erreurs militaires n’aient lieu et qu’elles ne conduisent à un face-à-face américano-russe », estime Dr Hicham Ahmad, professeur de sciences poli­tiques à l’Université du Caire. Et d’ajouter : « Pour cela, il est nécessaire qu’il y ait une communication et une coordination militaire entre eux. Il ne faut pas négliger le fait que l’espace aérien syrien est réduit et encom­bré ». De plus, les objectifs de la coalition et ceux de la Russie ne sont pas du tout les mêmes. « Le seul ennemi commun qu’ils ont est Daech. A part ça, tout les sépare. Les Américains soutiennent une partie de l’opposi­tion armée, qui oeuvre sur le terrain contre les forces de Bachar. Ceux-là même qui sont considérés par Moscou comme des terroristes », affirme l’analyste, qui indique que des frappes russes ont déjà ciblé des opposants soutenus par Washington.

Au-delà de l’aspect militaire de la chose, les divergences politiques ne font que s’accroître. Et l’inter­vention russe n’arrange pas les choses. En effet, aujourd’hui, il semble que ce sont les Russes qui mènent la danse. « Les Etats-Unis frappent de l’extérieur, la Russie, elle, a une base militaire à Tartous. C’est une différence de taille. En plus, Moscou coordonne son action avec le régime syrien. C’est donc elle qui désormais a la main haute sur le plan militaire », estime Dr Hicham Ahmad.

La question est donc maintenant de savoir comment ces évolutions sur le terrain vont influencer tout règlement politique futur. Déjà, côté européen, on a pu noter un certain fléchissement des positions officielles quant à l’exigence préa­lable à tout règlement, à savoir, le départ du président Bachar Al-Assad. « Le problème est que maintenant, on est toujours dans la logique de guerre. Et le conflit ne fait que s’étendre. Or, il est clair que la crise syrienne ne sera pas réglée par la guerre, il n’y aura ni gagnant ni perdant, d’autant plus qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de parties étrangères qui interviennent dans le conflit. Aucune solution n’est envisageable par les armes, et il faudra un jour ou l’autre négocier. Peut-être que les Occidentaux et la Russie finiront par parvenir à un compromis qui maintienne le régime actuel, sans les visages actuels. Une façon de sauver la face », conclut Dr Hicham.

Si un tel compromis est trouvé, ce sera la plus grande victoire diplomatique du président russe, Vladimir Poutine. Et peut-être une res­tructuration de la géopolitique mondiale.

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